bhagavata - le srimad-bhagavatam

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Préface L'Hindouisme classique se fonde sur des Ecritures sacrées, parmi lesquelles les dix-huit grands Puranas occupent une place centrale. Ces vastes poèmes didactiques, à caractère encyclopédique, donnent un enseignement théologique qui couvre l'ensemble du savoir (veda): cosmogonie, rituel, description du monde, mémoire des siècles passés, vision du devenir cosmique, yoga, dévotion (bhakti), etc., tout s'y trouve, et tout y est justifié par de multiples récits grâce auxquels les leçons les plus ardues deviennent aisément accessibles aux fidèles, même de la plus humble origine. C'est donc à la substance des Purinas que s'alimente la foi des foules indiennes: on les récite dans les temples et les prédicateurs populaires les commentent lors de ces assemblées dévotes (sahkirtana) où l'enseignement débouch e sur des chants et des danses à la gloire du Seigneur (Bhagavan). Or il se trouve que, de tous les Puranas, le plus célèbre est le Bhagavata (le Srimad-Bhagavatam), non seulement parce que sa forme littéraire est la plus achevée, la plus belle, et de loin, mais aussi, mais surtout, parce que c'est dans ce poème que s'exprime le mieux la doctrine qui fait de Sri Krsna la Personne Suprême (purusottama), le principe de toutes choses, l'Absolu unique et sans second (advaita-brahman). Tout comme dans la Bhagavad-gita (Srimad-Bhagavad-gita,) le Seigneur S'y révèle dans la plénitude de Sa majesté: bien plus qu'un avatara de Visnu, Il apparaît aux yeux de tous comme le Dieu unique auquel toute dévotion est due. La France s'honore d'avoir donné dès le début du XIXe siècle la première traduction du Bhagavata Purana en langue non-indienne. Mais, depuis longtemps déjà, l'oeuvre du grand Burnouf n'est plus accessible qu'en bibliothèque et c'est pourquoi il faut remercier l'Association Internationale pour la Conscience de Krishna de nous restituer ce texte considérable, l'un des maîtres-livres de l'humanité. Oeuvre d'ailleurs doublement bénéfique puisqu'à la traduction du texte sanskrit s'ajoute le commentaire magistral qu'en donne, verset après verset, le Maitre A.C. Bhaktivedanta Swami Prabhupada, fondateur de la dite Association. Comme il l'avait fait pour la Bhagavad-gita, parue en français en 1975 avec une préface du Professeur Olivier Lacombe, le Swami prend la peine d'expliquer mot à mot chaque mantra (stance du texte sacré) avant d'en dégager la signification intrinsèque. Ainsi le lecteur peut-il juger sur pièces de la teneur de l'enseignement du Maître en la confrontant au texte lui-même. Un glossaire détaillé, servant aussi d'index, et des notes achèvent de rendre le travail d'exégèse plus aisé au lecteur, même profane. Cet enseignement s'enracine dans celui de Caitanya, ce prophète du Krsnaisme dont la prédication au Bengale et en Orissa, au XVIe siècle, a renouvelé et approfondi l'antique dévotion à Bhagavan. Srila Prabhupada descend en ligne initiatique directe (vamsa) de Caitanya et de S es premiers disciples, les fameux Gosvamis: c'est donc un avantage considérable pour le public français que d'avoir enfin à sa disposition un ensemble de volumes où se manifeste la vitalité de l'un des chemins (pantha) les plus suivis par les fidèles de l'Hindouisme contemporain. 1

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Préface
L'Hindouisme classique se fonde sur des Ecritures sacrées, parmi lesquelles les dix-huit grands Puranas occupent une place centrale. Ces vastes poèmes didactiques, à caractère encyclopédique, donnent un enseignement théologique qui couvre l'ensemble du savoir (veda): cosmogonie, rituel, description du monde, mémoire des siècles passés, vision du devenir cosmique, yoga, dévotion (bhakti), etc., tout s'y trouve, et tout y est justifié par de multiples récits grâce auxquels les leçons les plus ardues deviennent aisément accessibles aux fidèles, même de la plus humble origine.
C'est donc à la substance des Purinas que s'alimente la foi des foules indiennes: on les récite dans les temples et les prédicateurs populaires les commentent lors de ces assemblées dévotes (sahkirtana) où l'enseignement débouche sur des chants et des danses à la gloire du Seigneur (Bhagavan).
Or il se trouve que, de tous les Puranas, le plus célèbre est le Bhagavata (le Srimad-Bhagavatam), non seulement parce que sa forme littéraire est la plus achevée, la plus belle, et de loin, mais aussi, mais surtout, parce que c'est dans ce poème que s'exprime le mieux la doctrine qui fait de Sri Krsna la Personne Suprême (purusottama), le principe de toutes choses, l'Absolu unique et sans second (advaita-brahman). Tout comme dans la Bhagavad-gita (Srimad-Bhagavad-gita,) le Seigneur S'y révèle dans la plénitude de Sa majesté: bien plus qu'un avatara de Visnu, Il apparaît aux yeux de tous comme le Dieu unique auquel toute dévotion est due.
La France s'honore d'avoir donné dès le début du XIXe siècle la première traduction du Bhagavata Purana en langue non-indienne. Mais, depuis longtemps déjà, l'oeuvre du grand Burnouf n'est plus accessible qu'en bibliothèque et c'est pourquoi il faut remercier l'Association Internationale pour la Conscience de Krishna de nous restituer ce texte considérable, l'un des maîtres-livres de l'humanité. Oeuvre d'ailleurs doublement bénéfique puisqu'à la traduction du texte sanskrit s'ajoute le commentaire magistral qu'en donne, verset après verset, le Maitre A.C. Bhaktivedanta Swami Prabhupada, fondateur de la dite Association. Comme il l'avait fait pour la Bhagavad-gita, parue en français en 1975 avec une préface du Professeur Olivier Lacombe, le Swami prend la peine d'expliquer mot à mot chaque mantra (stance du texte sacré) avant d'en dégager la signification intrinsèque. Ainsi le lecteur peut-il juger sur pièces de la teneur de l'enseignement du Maître en la confrontant au texte lui-même. Un glossaire détaillé, servant aussi d'index, et des notes achèvent de rendre le travail d'exégèse plus aisé au lecteur, même profane.
Cet enseignement s'enracine dans celui de Caitanya, ce prophète du Krsnaisme dont la prédication au Bengale et en Orissa, au XVIe siècle, a renouvelé et approfondi l'antique dévotion à Bhagavan. Srila Prabhupada descend en ligne initiatique directe (vamsa) de Caitanya et de Ses premiers disciples, les fameux Gosvamis: c'est donc un avantage considérable pour le public français que d'avoir enfin à sa disposition un ensemble de volumes où se manifeste la vitalité de l'un des chemins (pantha) les plus suivis par les fidèles de l'Hindouisme contemporain.
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Souhaitons donc une large diffusion à cette traduction commentée du Bhagavata Purana: ceux qui s'intéressent à l'Inde vivante y trouveront l'authenticité d'un enseignement spirituel autorisé, tout en ayant accès à l'un des plus beaux poèmes religieux de la Tradition hindoue immémoriale.
Jean Varenne Professeur de sanskrit et civilisation de l'Inde à l'Université de Provence.
Avant-propos
Nous devons savoir reconnaître ce qui manque à la société d'aujourd'hui. Or, qu'est-ce donc? La société humaine n'est plus limitée, comme au Moyen-Age, par des frontières géographiques, séparant communautés ou pays donnés. Elle a pris de l'ampleur, et le monde se tourne à présent vers un Etat universel, commun à toute l'humanité. Selon le Srimad-Bhagavatam, les idéaux du communisme spirituel sont eux aussi basés sur l'unité de la race humaine tout entière, voire même de l'énergie confondue de tous les êtres vivants. Et les grands penseurs modernes ont tous ressenti la nécessité de prendre cette direction. Mais il se trouve que le Srimad-Bhagavatam répond véritablement à ce besoin d'universalité qui anime la société humaine. C'est d'ailleurs pourquoi il commence par l'aphorisme janmady asya yatah de la philosophie du Vedanta, voulant par là raffermir l'idéal d'une cause commune.
Actuellement, l'humanité n'est plus, d'une certaine façon, dans l'ignorance. Elle a fait de remarquables progrès dans les domaines du confort matériel, de l'éducation et du développement économique, partout dans le monde. Mais quelque part dans l'organisation sociale des hommes, il existe une faille, et pour cette raison éclatent perpétuellement des conflits de grande envergure, souvent même pour des questions frivoles. Ce qu'il nous faut, c'est donc une indication qui nous permette de réaliser l'union des hommes, par quoi ils oeuvreraient à la poursuite d'un but commun, dans la paix, la fraternité et la prospérité. Ce besoin, répétons- le, sera comblé par le Srimad-Bhagavatam, qui représente une étude culturelle visant à la re- spiritualisation de l'humanité tout entière. A ce titre, il devrait trouver sa place dans les collèges et les universités, d'autant plus que le grand bhakta et étudiant Prahlada Maharaja le dit constituer un moyen de choix pour transformer la face démoniaque de la société.
kaumara acaret prajno dharmân bhagavatan iha durlabham manusam janma tad apy adhruvam arthadam (S.B., 7.6.1)
Les dissonances, les déchirements, qui travaillent la société humaine, viennent du manque de principes fondés sur l'existence de Dieu. Dieu existe, Il est tout-puissant, et c'est de Lui que tout émane; c'est par Lui que tout est soutenu, en Lui que tout se résorbe et repose au moment de
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l'annihilation. La science n'a pas fait les efforts qu'il fallait pour la découvrir, mais il n'en demeure pas moins qu'il existe une source ultime de tout ce qui est. Et le merveilleux Bhagavatam, ou Srimad-Bhagavatam, étudie cette source ultime de façon rationnelle et probante, avec toute l'autorité qui s'impose.
Le Srimad-Bhagavatam constitue la science spirituelle qui nous permet de connaître non seulement la source ultime de toute chose, ou l'Etre Suprême, mais aussi le lien, la relation, qui nous unit à Lui; à partir de là, il nous informe de notre devoir d'agir pour le mieux-être de la société humaine en nous basant sur ce savoir infaillible. Il s'agit d'un texte chargé de puissance spirituelle, d'abord rédigé en langue sanskrite et maintenant disponible en français, dans une version voulue très élaborée, de façon à ce qu'une simple lecture approfondie permette de connaître parfaitement Dieu, et rende le lecteur suffisamment instruit pour se défendre contre toute offensive d'inspiration athée. Mais par-dessus tout, le lecteur du Srimad-Bhagavatam sera en mesure de faire qu'autrui accepte Dieu en tant que réalité vivante.
Le Srimad-Bhagavatam commence par la définition même de la source ultime. Il constitue le commentaire authentique du Vedanta-sùtra par l'auteur même de l'ouvrage, Srila Vyasadeva, et ses neufs premiers Chants sont une ascension progressive vers le sommet de la réalisation de Dieu. La seule condition requise pour étudier cette oeuvre magistrale, toute de connaissance spirituelle et absolue, c'est de procéder étape par étape, avec circonspection, sans vouloir aller ni trop vite ni s'aventurer au hasard comme s'il s'agissait d'un livre ordinaire. Il faut le lire chapitre par chapitre, et dans l'ordre où ils sont écrits. Le tout est présenté d'une telle manière qu'à chaque verset, on retrouve le texte sanskrit originel, la translitération en caractères romains, la traduction littérale, puis littéraire, et la signification du verset, si bien qu'après l'examen attentif des neuf premiers Chants de l'ouvrage, on est sûr de devenir une âme réalisée, parfaitement consciente de Dieu.
Le dixième Chant diffère des neuf premiers en ce qu'il traite directement des Activités sublimes de la Personne Divine, Sri Krsna. On ne peut saisir la portée de ce Chant si l'on n'a pas d'abord lu avec attention les neuf premiers. L'ouvrage compte douze Chants au total; ils sont tous indépendants, mais il est tout de même préférable pour tous de les lire par tranches réduites et successives.
L'ouvrage est fort volumineux, et j'ai jugé bon de le présenter en plusieurs volumes, chacun de quelques centaines de pages seulement, et ce, afin de faciliter la tâche du lecteur, de lui éviter un trop grand effort physique ou intellectuel. Je ressens plus qu'aucun autre mon incompétence à présenter ce premier volume du Srimad-Bhagavatam, mais en m'appuyant sur une assertion même de l'ouvrage, j'espère malgré tout que ceux qui exercent une influence déterminante au sein de la société sauront le recevoir comme il le mérite:
tad vag-visargo janatagha-viplavo yasmin pratislokam abaddhavaty api namany anantasya yaso 'nkitàni yac chrnvanti gayanti grnanti sâdhavah
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"Les ouvrages où l'on trouve abondamment décrites les gloires absolues du Nom, de la Renommée, de la Forme et des Divertissements du Seigneur Suprême et Infini sont d'inspiration purement spirituelle, et les mots sublimes qui en remplissent les pages ont vocation de révolutionner les habitudes impies des cultures égarées de ce monde. Même si la lettre de ces Ecrits comporte des irrégularités, ils demeurent écoutés, chantés et accueillis par tous les hommes purs qu'anime une profonde intégrité." (S.B., 1.5.11)
A.C. Bhaktivedanta Swami
Un bref aperçu de la vie et de l'enseignement de Sri Caitanya Mahaprabhu, le parfait prédicateur du Srimad-Bhagavatam et du bhagavata-dharma
Sri Caitanya Mahaprabhu, le grand Apôtre de l'amour de Dieu et l'Initiateur du chant collectif et public des Saints Noms du Seigneur, parut à Sridharna Mapapura, un quartier de la ville de Navadvipa, au Bengale, le soir de la pleine lune du mois de Phalguna (Phalguna purnima) en l'an 1407 de l'ère de Saka (Sakabda) -soit en février 1486 selon le calendrier chrétien.
Son père, Sri Jagannatha Misra, un brahmana érudit du district de Sylhet, était venu étudier à Navadvipa, car cette ville était alors le plus haut centre d'enseignement et de culture. Après avoir épousé Srimati Sacidevi, fille de Srila Nilambara Cakravarti, le grand érudit de Navadvipa, il s'installa sur les rives du Gange pour y vivre. Son épouse lui donna plusieurs filles, dont la plupart moururent à un âge précoce. Deux fils, cependant, Sri Visvarupa et Visvambhara, survécurent et devinrent l'objet de l'affection de leurs parents. Visvambhara, le dixième et plus  jeune enfant de la famille, devait plus tard porter le nom de Nimai Pandita, puis, après qu'il eût embrassé l'ordre du renoncement, celui de Sri Caitanya Mahaprabhu.
Sri Caitanya Mahaprabhu, qui est le Seigneur Suprême, manifesta Ses Divertissements sublimes pendant quarante-huit ans, pour finalement quitter ce monde en l'an 1455 Sakabda, à Puri.
Ses vingt-quatre premières années, Il les passe à Navadvipa comme étudiant et chef de famille. Il épouse d'abord Srimati Laksmipriya, qui meurt de façon prématurée alors que le Seigneur est absent. Quand Il revient de l'est du Bengale, Il accède à la requête de Sa mère qui lui demande de prendre une nouvelle épouse, Srimati Visnupriya Devi; mais cette dernière vivra dans la séparation du Seigneur toute sa vie durant, puisque Sri Caitanya acceptera le sannyasa, ou l'ordre du renoncement, à l'âge de vingt-quatre ans, alors que Srirmati Visnupriya atteignait à peine sa seizième année. Devenu sannyasi, le Seigneur, toujours à la requête de Sa mère, Srimati Sacidevi, S'installe à Jagannatha Puri, pour les vingt-quatre dernières années de Son séjour sur Terre. Pendant six de ces années, Il voyagera partout en Inde, et principalement au sud, pour propager le message du Srimad-Bhagavatam.
Mais Sri Caitanya ne prôna pas uniquement le Srimad-Bhagavatam.; Il remit également en honneur la Bhagavad-gita, qu'Il voulut rendre accessible à tous. La Bhagavad-gita donne Sri Krsna pour la Personne Divine et Absolue, le Seigneur Lui-même, dont l'enseignement ultime
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dans ce grand livre de savoir spirituel est le suivant: délaisser toute autre pratique religieuse pour simplement s'abandonner à Lui, Sri Krsna, le Seigneur Suprême, seul digne d'adoration. Celui-ci assure encore que tous Ses dévots seront protégés des suites diverses de leurs péchés, qu'ils s'affranchiront de toute angoisse.
Malheureusement, en dépit du message de la Bhagavad-gita, des enseignements directs de Sri Krsna, des hommes à l'intelligence étroite se méprennent sur Son identité réelle, croient qu'il s'agit au plus d'un grand personnage historique. Leur pauvre fonds de connaissance les empêche de reconnaître en Lui le Seigneur originel et les rend sujets à l'influence trompeuse des diverses formes d'athéisme. C'est ainsi que le message de la Bhagavad-gita fut mal interprété, même par de grands érudits. Depuis que Sri Krsna disparut de la surface du globe, des centaines de commentaires sur la Bhagavad-gita ont vu le jour, écrits par des érudits de toute sorte, dont la plupart, malheureusement, étaient motivés par quelque intérêt personnel.
Sri Caitanya Mahaprabhu est bien Sri Krsna Lui-même, bien que cette fois Il ait choisi d'apparaître sous la forme d'un grand bhakta, pour faire connaître à l'humanité tout entière, aux philosophes comme aux théologiens, la nature spirituelle et absolue du Seigneur Suprême dans Sa Forme originelle de Sri Krsna, Cause de toutes les causes. Son enseignement repose sur le fait que Sri Krsna, qui parut à Vrajabhumi (Vrndavana) en tant que Fils de Nanda Maharaja (le roi de Vraja), est Dieu, la Personne Suprême, digne de l'adoration universelle. Vrndavana-dhama, la terre où se produisit l'Avènement du Seigneur, n'est point différente du Seigneur Lui-même, Somme ultime du savoir, car le Nom, la Forme ou la Renommée du Seigneur, de même que l'endroit où Il Se manifeste, ne font tous qu'Un avec Lui. Vrndavana-dhama doit donc être adoré au même titre que le Seigneur. Or, la plus haute forme d'adoration du Seigneur fut celle des gopis de Vrajabhumi, manifestée à travers leur pur amour pour Lui. C'est la même voie qu'indiqua Sri Caitanya Mahaprabhu comme la plus parfaite adoration du Seigneur. Il reconnut dans le Srimad-Bhagavata Purana l'Ecriture parfaite, sans nulle tache, qui permet d'accéder à la connaissance du Seigneur; et Il enseigna que le but ultime de l'existence pour tous les hommes est de développer le prema, ou pur amour de Dieu.
Plusieurs dévots de Sri Caitanya, tel Srila Vrndavana Dasa Thakura, Sri Locana Dasa Thakura, Srila Krsnadasa Kaviraja Gosvami, Sri Kavikarnapura, Sri Prabhodhananda Sarasvati, Sri Rupa Gosvami, Sri Sanatana Gosvami, Sri Raghunatha, Bhatta Gosvami, Sri Jiva Gosvami, Sri Gopala Bhatta Gosvami, Sri Raghunatha Dasa Gosvami et, plus récemment, dans les deux cents dernières années, Sri Vivanatha Cakravarti, Sri Baladeva Vidyabhusana, Sri Syamananda Gosvami, Ari Narottama Dasa Thakura, Sri Bhaktivinoda Thakura et, enfin, Sri Bhaktisiddhanta Sarasvati Thakura -notre maître spirituel- ainsi que de nombreux autres grands et illustres dévots érudits du Seigneur, ont écrit un nombre considérable d'ouvrages relatant la vie et les préceptes du Seigneur. Ces écrits s'appuient tous sur les sastras, qui comprennent les Vedas, les Puranas, les Upanisads, le Ramayana, le Mahabharata ainsi que d'autres récits authentiques approuvés par les grands acaryas. Ils sont inégalables tant par leur contenu que par leur forme; ils débordent de savoir spirituel et absolu. Malheureusement, la masse des hommes les ignore encore, mais lorsque ces écrits, pour la plupart rédigés en sanskrit ou en bengali, seront présentés dans toute leur lumière à l'esprit des êtres pensants, leur message d'amour sublime, en même temps que la gloire spirituelle de l'Inde, submergera ce monde morbide, vainement
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lancé à la recherche de la paix et de la prospérité par le biais de voies illusoires, non reconnues par les acaryas d'une filiation spirituelle authentique.
Les lecteurs de cette courte description de la vie et des préceptes de Sri Caitanya auront tout intérêt à parcourir l'oeuvre de Srila Vrndavana Dasa Thakura, l'auteur du Sri Caitanya- bhagavata, et de Srila Krsnadasa Kaviraja Gosvami, l'auteur du Sri Caitanya-caritamrta. Le Caitanya-bhagavata dépeint de manière fascinante les premières années de la vie du Seigneur, alors que le Caitanya-caritamrta s'attache plutôt à Ses enseignements (1).
Les faits concernant les premières années, de la vie du Seigneur furent rassemblés par un de Ses principaux dévots et contemporains, Srila Murari Gupta, un médecin de l'époque, et ceux ayant trait aux dernières années de Sa vie par Son secrétaire privé, Sri Damodara Gosvami, également connu sous le nom de Srila Svarupa Damodara, compagnon de presque tous les instants de Sri Caitanya Mahaprabhu à Puri. Ces deux bhaktas, donc, rassemblèrent la presque totalité des événements relatifs à la vie du Seigneur, et tous les ouvrages écrits plus tard sur Sri Caitanya (parmi lesquels ceux que nous mentionnons plus haut) furent rédigés à partir des Mémoires (kadacas) de Sri Damodara Gosvami et de Murari Gupta.
Ainsi, le Seigneur apparut le soir de la Phalguna purnima en l'an 1407 Sakabda et, de par Sa volonté, il y avait ce soir-là éclipse de lune. Or, la coutume hindoue veut que pendant la durée d'une éclipse, tous les gens se baignent dans le Gange, ou toute autre rivière sacrée, et chantent des mantras purificateurs. Ainsi, lors de l'Avénement de Sri Caitanya, l'Inde entière retentissait des sons sacrés de Hare Krsna, Hare Krsna, Krsna Krsna, Hare Hare / Hare Rama, Hare Rama, Rama Rama, Hare Hare. Ces seize Noms du Seigneur, qu'on trouve mentionnés dans plusieurs Puranas et Upanisads, constituent ce qu'on appelle le taraka-brahman-nama de l'ère où nous vivons, c'est-à-dire le moyen de s'y affranchir de l'existence matérielle.
Les sastras enseignent également que chanter ou réciter ces Saints Noms du Seigneur sans commettre d'offense(2) peut affranchir l'âme déchue de son esclavage matériel. Les Noms du Seigneur, en Inde et en d'autres lieux, sont innombrables, et tous ont une valeur égale, car tous désignent la Personne Suprême. Mais comme le chant de ces seize Noms est plus particulièrement recommandé pour l'âge actuel, les hommes devraient en tirer parti pour suivre la voie que tracèrent les grands acaryas, lesquels atteignirent tous la perfection en observant les règles des Ecritures (sastras).
L'éclipse de lune coïncidant avec l'Avènement du Seigneur souligne le caractère particulier de Sa mission, qui est justement de prêcher l'importance du chant des Saints Noms dans cet âge de Kali, règne de la discorde. En cet âge, de simples peccadilles suffisent à provoquer des conflits graves; c'est pourquoi les sastras y recommandent une méthode de réalisation sprituelle commune à tous; et c'est le chant des Saints Noms du Seigneur. Les hommes, chacun selon sa langue propre, peuvent se réunir et glorifier le Seigneur avec des chants mélodieux; que cette pratique soit accomplie sans offense, et ceux qui y participent seront assurés d'atteindre progressivement la perfection spirituelle sans avoir à suivre de méthode plus astreignante. Lors de telles rencontres, ou communions, érudits et illettrés, riches et pauvres, Hindous, Chrétiens et Musulmans, Européens, Américains et Indiens, candalas (Mangeurs de chien", ou les plus bas
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des hommes) et brahmanas, tous pourront écouter les vibrations spirituelles du chant des Saints Noms, et par là enlever du miroir du coeur toute la poussière que le contact avec la matière y a déposée. Répondant à la mission du Seigneur, tous les hommes accepteront alors Son Saint Nom comme le lieu commun de la religion universelle. L'Avènement de Sri Caitanya Mahaprabhu, c'est donc l'avènement du Saint Nom.
Petit enfant sur les genoux de Sa mère, le Seigneur ne cessait de pleurer que si les femmes qui L'entouraient se mettaient à frapper dans leurs mains en chantant les Saints Noms. Les voisins notèrent la chose avec respect et admiration, et parfois, des jeunes filles prenaient plaisir à Le faire pleurer pour Le voir Se calmer au chant des Saints Noms. Ainsi, dès Sa plus tendre enfance, Sri Caitanya commence à mettre l'accent, de façon inattendue, sur l'importance des Saints Noms. On Le connaît alors sous le Nom de Nimai attribué par Sa mère chérie à la suite de Sa naissance sous un arbre nima dans la cour de la maison paternelle.
Dès qu'Il atteint l'âge de six mois, lors d'une cérémonie d'usage du nom d'anna-prasana, on donne pour la première fois de la nourriture solide au jeune Nimai. Au cours de cette fête, on place également devant l'enfant, pour obtenir une indication de ses tendances futures, d'une part des pièces de monnaie et de l'autre des Textes sacrés. Le jeune Nimai, dévoilant Son avenir, préfère aussitôt le Srimad-Bhagavatam aux pièces d'argent.
Sri Caitanya est encore tout bébé, rampant dans la cour de la demeure familiale, lorsqu'un jour un serpent s'approche de Lui. Le Seigneur commence à jouer avec le reptile, remplissant de crainte et d'émoi toute la maisonnée; mais après quelques moments de jeu, le serpent s'éloigne, l'enfant est emporté par Sa mère. Une autre fois, un voleur, tenté par les joyaux qui ornent Son corps, L'enlève. Le brigand cherche un endroit solitaire où il pourra dépouiller le jeune enfant, mais il s'égare, tourne en rond et finalement se retrouve devant la maison de Jagannatha Misra. Effrayé, craignant d'être pris, il abandonne aussitôt l'enfant et prend la fuite. Bien entendu, parents et amis sont au comble de la joie en revoyant l'enfant perdu, pour qui l'aventure a été l'occasion d'une randonnée joyeuse sur les épaules du voleur.
Un jour, un pèlerin, un brahmana, est reçu dans la maison de Jagannatha Misra, et alors qu'il s'apprête à faire une offrande de nourriture à Dieu, le jeune Nimai s'avance et commence à goûter les mets préparés à cette fin. L'enfant a touché la nourriture, elle ne peut plus être offerte en sacrifice, et le brahmana doit préparer une nouvelle offrande. Mais le même incident se reproduit une deuxième, puis une troisième fois, après quoi Nimai est mis au lit. Vers minuit, quand toute la maisonnée dort d'un profond sommeil et que toutes les chambres sont bien closes, notre brahmana entreprend de répéter l'offrande à sa Murti, mais là encore, l'enfant survient et ruine le sacrifice. Le pèlerin se met alors à pleurer, mais tous sont endormis, et nul ne l'entend. Alors, l'enfant, nul autre que le Seigneur, Se montre au brahmana fortuné tel qu'il est, dans Sa Forme de Krsna, lui révélant ainsi Sa véritable identité. Mais Il interdit au brahmana de dévoiler ce qu'il a vu, et Lui-même retourne auprès de Sa mère.
Plusieurs incidents du même genre se produisent au cours de l'enfance de Sri Caitanya. Parfois, par exemple, en jeune garnement, Il importune les brahmanas orthodoxes qui se baignent dans le Gange. Un jour, ces derniers viennent se plaindre auprès de Son père que plutôt que d'aller à
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l'école, son jeune fils passe son temps à les éclabousser. Mais sur ces entrefaits, le Seigneur entre dans la maison avec tous Ses livres et vêtements de classe, comme s'Il revenait de l'école.
Au ghata, ou lieu de bain, Il a également l'habitude de jouer des tours aux jeunes filles du voisinage, assemblées là pour rendre un culte à Siva dans l'espoir d'obtenir de bons époux, comme c'est l'usage dans les familles hindoues pour les jeunes filles non encore mariées. Le Seigneur intervient comme un petit coquin au milieu de leur rituel et leur dit: "Chères soeurs, faites-Moi don, Je vous prie, de toutes ces offrandes que vous avez préparées pour Siva. Siva est Mon dévot, et Parvati Ma servante. Si vous M'adorez, Siva et tous les autres devas seront bien davantage satisfaits." Certaines refusent d'obéir à l'espiègle Seigneur, et Il les condamne alors: "Vous épouserez des vieillards, déjà pères de sept enfants par leurs précédentes épouses." Par crainte, et parfois aussi par amour, les jeunes filles Lui font donc diverses offrandes, et le Seigneur les bénit, leur promettant de bons et jeunes époux et des douzaines d'enfants. Ces bénédictions réjouissent le coeur des jeunes filles, mais elles n'en vont pas moins se plaindre à leur mère de ces incidents.
Ainsi se déroule l'enfance du Seigneur. A seize ans, Il établit Son propre catuspati (école de village conduite par un bramana érudit), où Il parle uniquement de Krsna, même dans Ses cours de grammaire. Srila Jiva Gosvami, pour Lui plaire, composera plus tard une grammaire sanskrite dont toutes les règles sont illustrées par des exemples utilisant les Saints Noms du Seigneur. Cet ouvrage, connu sous le nom de Hari-nanamrta-vyakarana, est d'ailleurs toujours en usage, surtout dans les institutions d'enseignement du Bengale.
A cette époque arrive à Navadvipa un grand érudit du Cachemire, Kesava Kasmira, lequel a l'intention de tenir des débats publics sur les sastras. Notre pandita est un vrai champion; il a voyagé à travers tous les hauts lieux de l'érudition en Inde. Il vient finalement à Navadvipa, dont il entend défier les savants panditas. Il se trouve que les érudits de Navadvipa, pensant que si le  jeune garçon était vaincu il leur resterait toujours la possibilité d'affronter eux-mêmes le redoutable jouteur, choisissent d'envoyer Nimai Pandita (Sri Caitanya) pour confondre le pandita du Cachemire. Si par miracle Kesava Kasmira était d'abord vaincu par Nimai, leur gloire n'en serait que plus grande; partout on dirait qu'il n'a fallu qu'un jeune garçon de Navadvipa pour vaincre ce savant incomparable dont la renommée s'étendait à l'Inde entière. C'est au cours d'une promenade le long des rives du Gange que Nimai Pandita rencontre Kesava Kasmira. Il lui demande de composer un verset sanskrit à la gloire du Gange, et le pandita,sans délai en compose cent, débitant les slokas comme un vent d'orage, étalant son vaste et puissant savoir. Nimai Pandita, qui a parfaitement retenu tous les slokas, reprend le soixante-quatrième en y faisant ressortir certaines irrégularités de rhétorique et de stylistique. Il questionne plus particulièrement le pandita sur l'usage qu'il a fait, dans ce verset, des mots bbhavani-bhartuh, "l'époux de l'épouse de Siva", et souligne leur caractère antinomique. En effet, Bhavani désigne l'épouse de Siva, et qui d'autre que ce dernier pourrait être son époux (bharta) ? Il relève également, au grand étonnement de Kesava Kasmira, plusieurs autres défaillances. Comment est-il possible qu'un simple écolier puisse ainsi détecter les faiblesses littéraires d'un savant érudit ? Bien que cet incident se soit produit avant toute rencontre publique, la nouvelle se répand à travers tout Navadvipa comme unc traînée de poudre. Finalement, Kesava Kasmira, reçoit, en songe, un ordre de Sarasvati, la déesse du savoir: qu'il s'incline devant le Seigneur. Et
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c'est ainsi que le pandita du Cachemire deviendra un disciple de Caitanya.
Survient ensuite le mariage du Seigneur, qui se déroule en grande pompe et dans la joie. C'est alors qu'il commence à prêcher le chant public et collectif des Saints Noms, dans la ville même de Navadvipa. Certains brahmanas jalousent bientôt Sa popularité, et multiplient les obstacles sur Sa voie. Leur malveillance est telle qu'ils vont protester contre Lui auprès du magistrat musulman de Navadvipa. Le Bengale se trouve alors sous la domination des Pàthanas. Le gouverneur de la province est le Nawab Husena Saha. Or, le kadi prend très au sérieux les plaintes des brahmanas. Sa première mesure est d'interdire aux disciples de Nimai Pandita de chanter à haute voix les Noms de Hari. Mais le Seigneur, en réponse, leur enjoint de ne pas suivre cet ordre du kadi, et de poursuivre leur sankirtana comme à l'ordinaire. Le magistrat dépêche alors des gardes sur les lieux pour interrompre les chants et briser les mrdangas (Tambours d'argile possédant deux extrémités, l'une de diamètre restreint et produisant les sons aigus, l'autre de plus grande surface et produisant les sons graves. ). Dès que Nimai Pandita est saisi de la chose, Il met sur pied un mouvement de désobéissance civile. On peut d'ailleurs voir en Lui le précurseur du mouvement de désobéissance civile pour la juste cause. Un défilé de 100 000 hommes, avec des milliers de mrdahgas et de karatalas (Petites cymbales à mains), emprunte les diverses rues de Navadvipa, défiant l'ordre du kadi. La foule atteint finalement la maison du kadi, lequel, effrayé par cette masse, court se réfugier au sommet de sa demeure. Les milliers de gens rassemblés là se montrent tout d'abord violents, mais sur l'intervention du Seigneur, tous s'apaisent. Le kadi sort de son refuge et tente d'adoucir Sri Caitanya, qu'il appelle son neveu. En effet, il considère Nilambara Cakravarti comme son oncle (caca), et par suite, Srimati Sacidevi, la mère de Nimai Pandita, comme sa soeur. Comment le fils de sa soeur pourrait-Il s'irriter contre lui, son oncle maternel ? Alors le Seigneur de répondre que puisqu'il est Son oncle, le kadi devrait assurément Le recevoir dans sa maison. Une fois mise au point cette première entente, Nimai Pandita et le magistrat musulman, qui est lui aussi un homme de savoir, s'engagent dans un long débat sur le Coran et les sastras védiques. Le Seigneur soulève la question de l'abattage des vaches; à quoi répond dûment le kadi en s'appuyant sur le Coran. A son tour, le kadi interroge le Seigneur sur le sacrifice de la vache tel qu'il se présente dans les Vedas, et Sri Caitanya lui répond qu'un tel sacrifice, conforme aux Ecritures védiques, n'est pas considéré comme relevant de l'abattage d'animaux; en effet, dans un tel sacrifice, on prend une vache ou un boeuf d'âge avancé et on lui redonne une vie nouvelle, un jeune corps, par le pouvoir des mantras védiques. Mais dans l'âge de Kali (kali-yuga), l'âge où nous vivons, de tels sacrifices sont prohibés, car il n'existe plus de brahmanas capables de les conduire avec succès. En définitive, dans notre ère, tous les yajnas (sacrifices) sont interdits: ils se traduiraient par des tentatives inabouties et dépourvues de sens. A toutes fins pratiques, seul le sankirtana-yajna y est recommandé. S'exprimant en ces termes, Sri Caitanya finit par convaincre le kadi. Devenu le disciple du Seigneur, le kadi lance alors une proclamation selon laquelle nul ne devra désormais faire obstacle au Mouvement du sankirtana institué par le Seigneur. Et il reportera cet ordre par testament, pour ses héritiers. La tombe du kadi se trouve toujours dans la région de Navadvipa, et des pèlerins s'y rendent encore pour lui offrir leur hommage. Les descendants du kadi habitent les lieux, et jamais ils n'entravèrent le progrès du sankirtana même aux jours des conflits Hindo-musulmans.
On voit par ce récit que Sri Caitanya n'était pas un "timide vaisnava". Un vaisnava, un dévot du
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Seigneur, ignore la crainte, et se montre prêt à tout pour servir la juste cause. Arjuna lui aussi était un vaisnava, un grand dévot de Krsna, et il combattit vaillamment pour satisfaire le Seigneur. Vajrangaji, ou Hanuman, un autre dévot du Seigneur, donna une sévère leçon aux troupes athées de Ravana, contre lequel il combattait auprès de Sri Rama, son Seigneur adoré. Le principe même du vaisnavisme est de satisfaire le Seigneur par tous les moyens. Par nature profonde, un vaisnava est non-violent, pacifique, possédant toutes les qualités divines; mais il ne saurait tolérer l'impudence d'un abhakta blasphémant le Seigneur ou Ses dévots.
A la suite de Sa rencontre avec le kadi, Sri Caitanya commence à prêcher et à promouvoir Son bhagavata-dharma, ou Mouvement de sankirtana, avec plus de vigueur que jamais, et quiconque s'oppose à la propagation du yuga-dharma(Le yuga-dharma est le devoir, la voie de réalisation spirituelle, propre à un âge donné; en l'occurence. Pour l'âge de Kali le sankirtana) se voit désormais châtier de diverses manières. Entre autres, un brahmana, Gopala Capala, qui se trouve être un oncle maternel de Sri Caitanya sera atteint de lèpre; mais voyant son repentir, Ce dernier l'acceptera plus tard comme Son disciple
Chaque jour, afin que Son message se répande toujours plus, Sri Caitanya prêche vigoureusement et envoie tous Ses disciples et compagnons, y compris des chefs de file aussi importants que Srila Nityananda Prabhu et Thakura Haridasa, pour prêcher eux-mêmes de porte en porte le Srimad-Bhagavatam. Ainsi le Mouvement du sahkirtana emplit-il bientôt toute la ville de Navadvipa. Le Seigneur a établi Ses quartiers dans la maison de Srivàsa Thakura et de Sri Advaita Prabhu, deux de Ses principaux disciples grhasthas. Les deux brahmanas, parmi les plus hauts placés de l'endroit, sont aussi les plus ardents défenseurs du Mouvement de Sri Caitanya. C'est d'ailleurs principalement à Sri Advaita Prabhu que l'on doit l'Avènement de Sri Caitanya Mahaprabhu. Voyant la société entière se perdre de plus en plus en des actes matériels et négliger le service de dévotion, qui peut seul affranchir l'humanité des trois formes de souffrance (3) qu'engendre l'existence matérielle, il avait, dans sa compassion sans fin pour le monde usé, dégradé, où il vivait, prié avec ferveur, demandant que le Seigneur descende sur Terre, L'adorant avec constance, Lui offrant de l'eau du Gange et des feuilles de tulasi, l'arbre sacré.
Un jour, Srila Nityananda et Srila Haridasa Thakura marchent le long d'une grande rue de la ville, lorsqu'ils aperçoivent au loin une foule bruyante. Les passants leur apprennent que deux frères en état d'ivresse, Jagai et Madhai, troublent le populaire. Ces deux frères, leur apprend-on, sont issus d'une respectable famille de brahmanas, mais à cause de mauvaises accointances, ils sont devenus des débauchés de la pire espèce. Non seulement ils s'enivrent, mais encore ils mangent de la viande, pourchassent les femmes, pillent les gens et pèchent de mille autres façons encore. Entendant cela, Srila Nityananda Prabhu juge que ces deux âmes déchues doivent être les premières qu'il faut sauver. Si seulement ils pouvaient être enlevés à leur existence pécheresse, le Nom glorieux de Sri Caitanya en deviendrait plus exalté encore. Avec cette idée, Nityananda Prabhu et Haridasa se fraient un chemin à travers la foule, parviennent jusqu'aux deux frères, et les prient, sans tergiversations, de chanter les Saints Noms du Seigneur, Hari. A cette requête, les deux frères ivrognes s'enflamment de rage et lancent à Nityananda Prabhu les paroles les plus odieuses. Puis, ils se jettent à la poursuite des deux bhaktas, les harcèlent longtemps. Le soir venu, chacun rapporte au Seigneur ses travaux du jour, et le Seigneur Se
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réjouit d'apprendre que Nityananda et Haridasa ont tenté de libérer deux êtres aussi bas. Le  jour suivant, Nityananda Prabhu retourne voir les deux frères, mais cette fois dès qu'il s'en approche, l'un deux lui lance un tesson de jarre à la tête, provoquant une effusion de sang. Cependant, la générosité de Nityananda Prabhu est telle qu'au lieu de protester contre le geste odieux, il leur dit: "Peu importe que vous m'ayez ainsi fait violence. Je souhaite encore que vous chantiez les Saints Noms de Hari." L'un des deux frères, Jagai, surpris de cette attitude, se prosterne aussitôt aux pieds de Nityananda, Prabhu et lui demande de pardonner les offenses de son misérable frère. Et lorsqu'à nouveau Madhai tente de faire violence à Nityananda Prabhu, Jagai l'en empêche et l'implore de suivre son exemple. Entretemps, la nouvelle qu'on a blessé Nityananda est parvenue au Seigneur, qui Se hâte sur les lieux, bouillant de colère. Faisant appel à Son sudarjana-cakra, Son arme ultime, qui a la forme d'un disque, Il S'apprête à tuer sur-le-champ les coupables. Mais Nityananda Prabhu Lui rappelle alors Sa mission, qui est de libérer les âmes désespérément déchues du kali-yuga. Jagai et Madhai ne sont-ils pas les vivants exemples de ces âmes déchues ? En effet, presque tous les hommes de cet âge sont comparables peu ou prou à ces deux frères, même quand ils viennent de familles respectables et sont doués de quelque valeur dans l'ordre matériel. D'ailleurs, les Ecritures annoncent que tous les hommes, dans cet âge, seront du niveau des derniers sudras, ou même plus bas encore. Notons ici que Sri Caitanya Mahaprabhu n'a jamais reconnu le système stéréotypé des castes, fondé sur les droits acquis par la naissance; Il préféra suivre strictement là voie tracée par les sastras, et qui repose sur le svarupa, ou l'identité réelle, de chaque être.
Quand Caitanya invoqua Son sudarsana-cakra et que Srila Nityananda Prabhu L'implora d'accorder Son pardon aux deux frères, les débauchés se jettèrent aux pieds du Seigneur et Le prièrent d'oublier leur basse conduite. Nityananda Prabhu demanda lui aussi à Sri Caitanya d'accepter auprès de Lui ces âmes repentantes, ce à quoi le Seigneur consentit, mais à une condition: ils devraient désormais abandonner complètement toutes leurs activités pécheresses et leurs habitudes de débauche. Les deux frères se plièrent à cette condition et le Seigneur les accepta comme disciples, après quoi Il ne fit plus jamais aucune allusion à leurs méfaits passés. Telle est la magnanimité toute particulière de Sri Caitanya. Dans l'âge où nous vivons, nul ne peut se prétendre à l'abri du péché. Ce serait chose impossible. Mais Sri Caitanya accueillit parmi les Siens les pécheurs de tout genre, à la seule condition qu'ils promettent de ne plus s'adonner à leurs vices après avoir reçu l'initiation d'un maître spirituel authentique.
On peut tirer plusieurs enseignements de l'histoire de Jagai et Madhai. Dans l'âge de Kali, presque tous les hommes sont comparables à ces deux frères. S'ils désirent s'affranchir des suites de leurs actes coupables, ils doivent prendre refuge auprès de Sri Caitanya Mahaprabhu et, après l'initiation spirituelle, s'abstenir de toute activité condamnée par les sastras. On trouvera ces règles décrites par le Seigneur dans Ses enseignements à Sri Rupa Gosvami.
Au cours de Sa vie de grhastha, Sri Caitanya ne fit pas autant de miracles qu'on pourrait en attendre d'un tel personnage. Cependant, un jour, dans la maison de Srinivasa Thakura, il accomplit une grande merveille. Le sahkirtana est à son plein, quand le Seigneur demande à Ses dévots ce qu'ils veulent manger. "Des mangues", répondent-ils. Sri Caitanya demande alors qu'on Lui apporte un noyau de mangue, bien que le fruit soit hors saison. On Lui apporte le noyau qu'Il plante dans la cour de Srinivasa; aussitôt, une jeune pousse apparaît de la graine, qui
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devient en un rien de temps un manguier adulte, chargé de plus de fruits mûrs que n'en pourraient manger les bhaktas réunis. Cet arbre demeura dans la cour de Srinivasa, et les dévots du Seigneur purent y cueillir à tout moment autant de fruits qu'ils le désiraient.
Caitanya possède une très haute estime pour les sentiments d'amour qu'éprouvent les jeunes filles de Vrajabhumi (Vrndavana) à l'égard de Krsna, et par considération de leur pure dévotion au service du Seigneur, Il Se met un jour à chanter les saints noms des gopis plutôt que ceux de Krsna. Certains de Ses disciples, qui étudiaient sous Sa tutelle, s'approchant de Lui entendent cela et sont frappés d'étonnement. Par pure sottise, sans réfléchir, ils conseillent au Seigneur de chanter plutôt les Noms de Krsna. Sri Caitanya, troublé dans Son extase par ces maladroits, les châtie et les chasse de Sa présence. Ces étudiants disciples avaient presque le même âge que Caitanya, et bien à tort Le croyaient de leur niveau. Ils se réunirent et, d'un commun accord, décidèrent de se dresser contre Lui s'Il osait encore les punir de la sorte. D'autre part, l'incident donna l'occasion dans le public à certains propos malicieux concernant le Seigneur. Averti de ce fait, Sri Caitanya commença par réfléchir aux différentes sortes d'hommes qui peuplent la société. Il remarqua en particulier que des étudiants, professeurs, yogis et abhaktas, de même que différents types d'athées et de matérialistes, s'opposent à la pratique du service de dévotion offert au Seigneur. Il pensa alors: "Ma mission est de délivrer tous les êtres déchus de cet âge. Mais s'ils commettent des offenses envers Moi, s'ils Me prennent pour un homme ordinaire, ils ne recevront pas le bénéfice de Ma présence. Pour faire leurs premiers pas dans la vie spirituelle, ils doivent, d'une façon ou d'une autre, Me rendre leur hommage." Le Seigneur, Sri Caitanya, décide alors d'accepter le sannyasa, ou l'ordre du renoncement, car les hommes ont généralement tendance à rendre leur hommage à un sannyàsi.
Il y a cinq cents ans, en Inde comme ailleurs, la société humaine n'était pas aussi dégradée qu'aujourd'hui. A cette époque, les gens montraient du respect pour un sannyasi, et les sannyasis, de leur côté, observaient strictement les règles qui s'attachent à la vie de renoncement. Sri Caitanya Mahaprabhu, de Lui-même, n'était pas très favorable à l'acceptation du sannyasa dans l'âge de Kali, mais l'unique motif de Son attitude était que très peu y sont capables d'observer les règles et normes de la vie de renoncement. Il décida cependant d'embrasser cet ordre et de devenir un parfait sannyasi afin que les masses Lui portent respect. Car c'est le devoir de chacun de faire montre de respect envers un sannyasi, considéré comme le maître spirituel de tous les varnas et asramas.
Dans les jours où Sri Caitanya pense à prendre le sannyasa, Kesava Bharati, un sannyasi de l'école Mayavada qui réside dans la localité de Katwa au Bengale, se trouve justement en visite à Navadvipa. Le Seigneur l'invite à partager Son repas et, profitant de l'occasion, demande à recevoir de lui le sannyasa. Du point de vue de la forme, car le sannyasa doit être reçu en effet d'un sannyasi. Aussi, bien qu'indépendant à tous égards, le Seigneur, afin de Se conformer aux normes établies dans les sastras, accepte le sannyasa de Kesava Bharati, même si ce dernier n'appartient pas à la sampradaya, ou filiation spirituelle, vaisnava.
Après Sa rencontre avec Kesava Bharati, Sri Caitanya quitte Navadvipa pour Katwa, en vue de Se voir conférer le sannyasa dans les plus pures formes. Srila Nityananda Prabhu, Candrasekhara Acarya et Mukunda Datta L'accompagnent au cours du voyage et L'assisteront dans les détails
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de la cérémonie. L'événement se trouve décrit de façon très élaborée dans le Caitanya- bhagavata de Srila Vrndavana Dasa Thakura.
Ainsi, à la fin de Sa vingt-quatrième année, dans le mois de Magha (janvier- février), Sri Caitanya devient sannyasi. Dans la suite de Sa vie, Il Se consacrera pleinement à la propagation du bhagavata-dharma. Pour tout dire, cette oeuvre L'absorbait déjà tout entier lorsqu'Il était encore grhastha, et si quelque obstacle se dressait alors sur Sa voie, Il sacrifiait même le confort de Son foyer pour sauver les âmes déchues. Ses assistants d'alors étaient Srila Advaita Prabhu et Sala Srivasa Thakura. Mais après qu'Il ait pris le sannyasa, leur rôle échut à Srila Nityananda Prabhu, qui fut envoyé au Bengale pour y prêcher, et aux six Gosvamis (Rûpa Gosvami, Sanatana Gosvami, Jiva Gosvami, Gopala Bhatta Gosvami, Raghunatha Dasa Gosvami, et Raghunatha Bhatta Gosvami), qui, sous la conduite de Srila Rupa et Sanatana, furent envoyés à Vrndavana afin d'y repérer les différents lieux saints que nous y connaissons aujourd'hui. De cette manière, Sri Caitanya dévoila l'emplacement de l'actuelle Vrndavana et montra l'importance de Vrajabhumi.
Aussitôt après avoir reçu le sannyasa, Caitanya manifeste le désir de Se rendre à Vrndavana. Il Se met donc en route et voyage pendant trois jours consécutifs de par le Radha-desa (Région qui n'est pas irriguée par le Gange.) empli d'extase à l'idée d'aller à Vrndavana. Mais Srila Nityananda Prabhu Le fait alors dévier de Sa route et Le conduit à la demeure d'Avaita Prabhu à Santipura. Là, le Seigneur passe quelques jours, que Sri Advaita, sachant que Caitanya va maintenant quitter le foyer pour toujours, met à profit pour envoyer chercher Sa mère, Saci, à Navadvipa, qu'elle puisse rencontrer son Fils une dernière fois. Certains, dénués de scrupules, prétendent que Caitanya rencontra également Son épouse après avoir accepté le sannyasa, et qu'Il lui aurait offert Ses sandales de bois pour qu'elle les adore, mais aucune source authentique ne fait mention d'une telle rencontre. Sacidevi est donc mise en présence de son Fils dans la maison d'Advaita Prabhu, et quand elle prend conscience de Son geste de renoncement, elle en devient fort contristée. En guise de compromis, elle demande à son Fils de S'installer dans la ville de Puri, afin d'obtenir facilement de Ses nouvelles, et Caitanya accède au dernier souhait de Sa mère chérie. Après cet incident, Il partira en direction de Puri, laissant tous les habitants de Navadvipa dans un océan de lamentations.
En route vers Puri, Caitanya visite plusieurs lieux importants, dont le temple de Gopinathaji, connu pour avoir chapardé du riz au lait au bénéfice de son dévot Srila Madhavendra Puri. Depuis ce temps, la Murti de Gopinathaji est célèbre sous le Nom de Ksira-cora Gopinatha. Lorsqu'on Lui rapporte l'histoire de Gopinathajï, Sri Caitanya la savoure avec grand plaisir. La tendance au larcin se manifeste même au niveau de la Conscience absolue, mais lorsqu'elle apparait ainsi en l'Absolu, elle perd toute connotation perverse; elle devient même digne de l'adoration de Sri Caitanya, qui fonde Son attitude sur le fait absolu que le Seigneur et Sa tendance au larcin ne font qu'Un. On retrouvera les détails de ce récit dans le Caitanya- caritamrta de Krsnadasa Kaviraja Gosvami.
Après cette visite au temple de Ksira-cora Gopinatha de Remuna à Balasora, en Orissa, le Seigneur S'arrête au temple de Saksi Gopala, dont la Murti est célèbre pour avoir joué le rôle de témoin dans une querelle de famille opposant deux bhaktas brahmanas. Cette histoire
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également, racontée au Seigneur, L'emplit de joie, car Celui-ci veut justement montrer aux athées que la Forme de la Murti dans le temple, Forme digne d'adoration et reconnue par tous les grands acaryas, n'est, en rien une idole, comme le voudraient des hommes de peu de savoir. La Murti dans le temple est la manifestation arca de Dieu, la Personne Suprême, en tous points identique à Lui. Seulement voilà, le Seigneur Se donne à Son dévot en fonction de l'amour que celui-ci Lui porte. L'histoire où intervient Saksi Gopala a pour origine une mésentente familiale entre deux dévots du Seigneur. Celui-ci, pour trancher le différend de Ses serviteurs aussi bien que pour leur faire une faveur spéciale, Se déplaça, dans Sa Forme arca, de Vrndavana à Vidyanagara, un village d'Orissa. Puis, de ce village, on emmena la Murti à Kataka, où des milliers de pèlerins la visitent encore aujourd'hui en se rendant à Jagannatha Puri. Sri Caitanya passa la nuit au temple de Saksi Gopala avant de reprendre Sa route. C'est au cours de ce voyage que Nityananda Prabhu brisa le bâton de sannyasi du Seigneur; Celui-ci, en colère contre lui, du moins en apparence, poursuivit seul Sa route vers Puri, laissant derrière Lui Ses compagnons.
A Puri, en entrant dans le temple de Jagannatha, Sri Caitanya Se sent aussitôt transporté d'extase spirituelle, et Il S'écroule sur le sol, inconscient. Les gardiens du temple sont incapables de comprendre ce qui arrive au Seigneur, mais un grand pandita très érudit, Sarvabhauma Bhattacarya, qui se trouve également présent, peut saisir que cette perte de conscience n'est pas un événement ordinaire. Sarvabhauma Bhattacarya, lequel est alors le plus important des panditas attitrés à la cour du Roi d'Orissa, Maharaja Prataparudra, se sent fasciné par l'éclat de  jeunesse qui émane du Corps de Sri Caitanya Mahaprabhu; par ailleurs, il est en mesure de comprendre la rareté d'une telle extase spirituelle, qui n'est le fait que des bhaktas les plus évolués, déjà établis au niveau spirituel et complètement oublieux de l'existence matérielle. Seule une âme libérée est capable d'une telle démonstration, et le Bhattacarya, en vaste érudit, - peut percevoir la nature de ces choses à la lumière des Ecritures qui lui sont familières. Il demande alors aux gardiens du temple de ne pas troubler ce sannyasi inconnu, mais plutôt de l'emmener dans sa propre maison où son état d'inconscience pourrait être mieux surveillé. Le Seigneur Se voit donc aussitôt transporté dans la maison de Sarvabhauma Bhattacarya, lequel possède une assez grande autorité grâce à sa position de sabha pandita, ou Doyen de la Faculté d'Etat des Lettres sanskrites. L'érudit pandita désirait analyser d'une façon méticuleuse l'extase spirituelle de Caitanya, car il advient souvent que des bhaktas sans scrupule imitent une telle extase, faisant paraître sur leur corps des symptômes divers; ils espèrent, en se targuant d'avoir atteint la perfection spirituelle, attirer à eux des innocents pour les exploiter. Mais un savant érudit comme le Bhattacaya savait déceler de telles impostures et confondre sur-le-champ leurs auteurs.
Sarvabhauma Bhattacarya, à la lumière des sastras, vérifia tous les symptômes d'extase montrés par Sri Caitanya Mahaprabhu. Il conduisit l'épreuve en homme de science, non aveuglé par un banal sentimentalisme. Il examina les mouvements de l'estomac, les battements du coeur et la circulation de l'air dans les narines. Il prit le pouls du Seigneur et constata en Lui la suspension complète de toute activité corporelle. Ayant placé quelques fibres de coton devant les narines de Caitanya, il put toutefois noter une légère vibration indiquant un faible mouvement respiratoire. A la suite de diverses expériences, il conclut finalement que l'état d'inconscience du Seigneur correspondait à une extase authentique, et il se mit en devoir de prendre envers Lui les
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mesures prévues pour de telles circonstances. Mais pour Sri Caitanya Mahaprabhu, ces mesures présentaient quelques particularités ! Il ne S'éveillerait qu'au chant, par Ses dévots, des Saints Noms du Seigneur. Sarvabhauma Bhattacarya ignorait cette méthode d'éveil, car il ne connaissait pas encore Sri Caitanya. Lorsqu'il L'avait vu pour la première fois, dans le temple, il L'avait pris pour un pèlerin parmi tant d'autres.
Pendant ce temps, les compagnons du Seigneur, qui ont atteint le temple peu après Lui, ont entendu parler de Son extase; on leur dit comment Il a été emmené par le Bhattacarya. Les pèlerins du temple se racontent encore l'incident. Par bonheur, l'un d'eux a rencontré Gopinatha Acarya, que connaît Gadadhara Pandita et qui se trouve être le beau-frère de Sarvabhauma Bhattacarya; par lui, l'on apprend bientôt que Sri Caitanya gît inconscient dans la demeure de ce dernier. Gadadhara Pandita présente tous ses compagnons à Gopinatha Acarya et celui-ci les conduit alors à la maison du Bhattacarya, où le Seigneur est toujours étendu, inconscient, plongé dans une extase toute spirituelle. Aussitôt, les bhaktas réunis se mettent à faire vibrer très haut les Saints Noms de Dieu, ou Hari, comme ils en ont l'habitude, et immédiatement le Seigneur reprend conscience. A la suite de cet incident, le Bhattacarya reçoit tous les membres du groupe, y compris Sri Nityananda Prabhu, et leur demande de bien vouloir se considérer comme ses hôtes d'honneur. Tout le groupe va alors prendre un bain dans l'océan avec le Seigneur tandis que le Bhattacarya fait les préparatifs nécessaires à leur séjour dans la maison de Kas! Misra, voyant à leur repos et à leur nourriture. Dans cette tâche l'assistait son beau-frère, Gopinatha Acarya. Les deux beaux-frères se livraient amicalement à un échange de propos quant à la Divinité de Sri Caitanya, et Gopinatha Acarya, qui connaissait déjà le Seigneur, essayait d'établir qu'Il était bel et bien Dieu, la Personne Suprême, tandis que le Bhattacarya voulait qu'Il fût un grand bhakta, mais non pas Dieu. Chacun appuyait ses arguments sur les sastras, et non pas sur quelque jugement sentimental et populaire. Les avataras et manifestations de Dieu sont déterminés en fonction des sastras, et non pas d'un quelconque vote du peuple arrangé par des fanatiques. Srî Caitanya est véritablement un avatara, mais dans l'âge de Kali, nombreux furent les imposteurs et les fanatiques qui créèrent leurs propres avataras, sans nulle référence aux Ecritures. Sarvabhauma Bhattacarya et Gopinatha Acarya n'étaient pas des pauvres d'esprit, ni des êtres frappés d'un sentimentalisme excessif; chacun essayait au contraire de prouver ses arguments en s'appuyant sur les sastras, sur les Ecritures faisant autorité en la matière.
Plus tard, il se révéla que le Bhattacarya était également originaire de la région de Navadvipa; lui-même laissa entendre que Nilambara Cakravarti, le grand-père maternel de Sri Caitanya, s'était trouvé être un compagnon de classe de son propre père. C'est pourquoi le jeune sannyasi suscitait chez lui des sentiments d'affection paternelle. Le Bhattacarya était le précepteur de plusieurs sannyasis dans la lignée de Sankara acarya (Sankara-sampradaya), à laquelle lui-même appartenait. En tant que tel, il voulut que le jeune sannyasi, Sri Caitanya, écoute Lui aussi ses enseignements sur le Vedanta.
Les adeptes du culte de Sahkara sont généralement connu sous le nom de vedantistes, mais on ne saurait en conclure que la Sahkara-sampradaya détienne le monopole du Vedanta. Le Vedanta a été étudié par toutes les sampradayas, mais chacune en donne sa propre interprétation. Et les maîtres de la Sankara-sampradaya sont connus pour ignorer généralement
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le savoir des vedantistes vaisnavas. C'est d'ailleurs pour cette raison que le titre de Bhaktivedanta nous fut d'abord conféré par la lignée des vaisnavas.
Sri Caitanya accepte donc d'entendre l'enseignement du Bhattacarya sur le Vedanta, et on les voit tous deux s'asseoir ensemble dans le temple de Jagannatha. Sept jours durant, sans s'arrêter, le Bhattacarya poursuit son exposé, que le Seigneur écoute avec grande attention, sans l'interrompre une seule fois. Son silence ne tarde pas à soulever certains doutes dans le coeur du Dhattacarya, lequel finit par interroger Caitanya. Pourquoi n'a-t-Il posé aucune question, ni fait aucune remarque sur ses explications du Vedanta ? Sri Caitanya proteste alors qu'Il fait un bien piètre disciple: Il a écouté les enseignements du Bhattacarya sur le Vedanta parce que ce dernier jugeait la chose comme allant du devoir d'un sannyasi, mais Il ajoute aussitôt qu'Il est en désaccord avec les vues exposées. Le Seigneur indiquait ainsi que les prétendus vedantistes appartenant à la Sankara-sampradaya, ou à toute autre sampradaya, doivent être considérés comme de simples techniciens du Vedanta s'ils ne suivent pas les instructions de son auteur même, de Srila Vyasadeva. A défaut, ils ne sauraient être pleinement éveillés au grand savoir vedantique. L'explication du Vedanta-sütra est donnée par l'auteur même de l'ouvrage dans son Srimad-Bhagavatam, et quiconque n'a pas percé le message du Srimad-Bhagavatam ne pourra que très difficilement pénétrer celui du Vedanta.
Le Bhatacarya, en savant érudit, peut saisir le trait sarcastique du Seigneur concernant le vedantiste populaire. Il lui demande donc pourquoi Il n'a posé nulle question sur les points inacceptables pour Lui. Le Bhattacarya peut comprendre la signification du profond silence observé par le Seigneur durant tous ces jours où Il l'a écouté. Sûrement Sri Caitanya garde autre chose à l'esprit, et c'est ce qu'il veut Lui faire dévoiler.
Sri Caitanya prend alors la parole: "Cher maître, lui dit-Il, Je comprends le sens des sutras, du Vedanta, tel janmady asya yatah, sastra-yonitva ou athato brahma~jijnasa, mais lorsque vous les expliquez à votre façon, il Me devient difficile de les saisir. L'intention finale des sutras, les sutras la contiennent déjà et l'expliquent; mais vos commentaires les recouvrent de quelque chose d'étranger. Volontairement, vous refusez leur sens immédiat, auquel vous préférez une réflexion indirecte qui vous est propre."
Le Seigneur attaque ainsi tous les vedantistes qui interprètent le Vedanta-sutra au goût du jour, selon la puissance limitée de leur intelligence personnelle, et afin de servir des fins qui leur sont particulières. Il condamne définitivement toute interprétation négligeant le sens direct d'Ecrits authentiques comme le Vedanta.
Sri-Caitanya poursuit: "Srila Vyasadeva a directement donné l'essence des mantras des Upanisads dans le Vedanta-sütra. Mais malheureusement, vous rejetez leur sens direct en les interprétant par quelque biais de votre façon. L'autorité des Vedas demeure immuable et s'élève au-delà de toute mise en question. Tout ce qu'on y trouve établi doit être accepté sans réserve; sinon, leur autorité se voit défiée. Si la conque et la bouse de vache, par exemple, bien qu'elles représentent respectivement l'os et l'excrément d'un animal, sont reconnues comme pures, c'est que l'autorité des Vedas a établi qu'elles sont pures."
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Le principe est que nul, de sa raison imparfaite, ne peut surclasser l'autorité des Vedas. Les préceptes des Vedas doivent être observés à la lettre, sans spéculation aucune. De prétendus observants de la norme védique fabriquent leurs propres interprétations de cette norme et donnent ainsi naissance à de multiples sectes et groupements religieux qui se prétendent issus de la sectes et groupements religieux qui se prétendent issus de la tradition des Vedas. L'avatara Buddha, quant à lui, reniait directement l'autorité des Vedas, contre laquelle il établit sa propre religion. C'est pourquoi le bouddhisme n'est pas reconnu par les stricts adhérents à la norme védique. Mais les pseudo-adeptes des Vedas causent en fait plus de tort que les bouddhistes. Les bouddhistes ont au moins le courage de rejeter ouvertement les Vedas ! Sri Caitanya Mahaprabhu condamne donc tous ceux qui, respectant dans la forme l'autorité des Vedas, s'en écartent indirectement. L'exemple de la conque et de la bouse de vache, qu'Il utilise dans Sa démonstration, est des plus appropriés. On pourrait objecter que si les excréments de la vache sont purs, combien plus doivent l'être ceux d'un brahmana érudit ! Mais un tel argument ne tient pas devant les Vedas. La bouse de vache est reconnue pure mais pas les excréments du brahmana, si élevé soit-il; telle est la norme védique.
Le Seigneur reprend: "Les préceptes védiques puisent en eux-mêmes leur autorité, et si quelque esprit matérialiste tente d'interpréter les Vedas à sa manière, il défie par là même cette autorité. Quel insensé pourra se croire plus intelligent que Srila Vyasadeva ? Celui-ci s'est déjà clairement exprimé dans ses sutras; tout ce qu'apporteront des êtres moins éclairés que lui ne saurait en rien aider à leur compréhension. Son Vedanta-sutra brille avec autant d'éclat que le soleil du plein midi, et quiconque cherche à donner sa propre interprétation du radieux Vedanta-sutra ne peut qu'en voiler la lumière des nuages de son imagination.
"Le but que poursuivent les Vedas et les Puranas est le même. Ils révèlent la Vérité Absolue, qui est au-delà de toute chose. Cette Vérité Absolue, en dernière analyse, est réalisée comme la Personne Suprême et Absolue, Maître ultime de tout ce qui est. En tant que tel, l'Etre Divin doit posséder pleinement et parfaitement beauté, richesse, renommée, puissance, sagesse et renoncement. Cependant, il arrive, si étonnant que cela puisse paraître, que l'on trouve l'Etre Suprême décrit comme impersonnel. En réalité, si certaines parties des Vedas nous offrent une telle description, c'est uniquement dans le but d'anéantir tout concept matériel du Tout absolu. Car, les traits personnels du Seigneur Suprême diffèrent entièrement de tous les traits matériels s'offrant à notre expérience. Chaque être, vivant est une personne distincte, et fait partie intégrante du Tout Suprême, dont il constitue un simple fragment. Si les parties intégrantes du Tout sont des personnes individuelles, comment leur Source, le Tout duquel elles émanent et auquel elles appartiennent, pourrait-Il être impersonnel ? Le Tout est en vérité la Personne Suprême et Absolue, Souveraine parmi les êtres relatifs.
"Les Vedas nous enseignent que de Lui (qu'on nomme Brahman) tout émane, et que sur Lui tout repose. Qu'après la grande dévastation, tout se fond en Lui, et en Lui seul. Il est par conséquent le But, l'Origine et la Cause de toutes les causes: elles ne sauraient se rattacher à un objet impersonnel. Les Vedas nous enseignent encore que Lui seul, l'Unique, S'est fait multiple, et que lorsque tel fut Son désir, Il imprégna la nature matérielle de Son regard. Avant qu'Il jette ainsi Son regard sur la nature matérielle, la création ni l'ordre cosmique n'existaient. Son regard ne saurait donc être matériel. Le mental et les sens matériels n'avaient aucune existence avant que
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le Seigneur jette Son regard sur la nature matérielle. Ainsi, les Vedas prouvent, sans qu'aucun doute soit possible, que la Personne Suprême possède des yeux et un mental, lesquels sont purement spirituels et absolus. Ils n'ont rien de matériel. Son "impersonnalité" ne constitue donc qu'une négation de toute qualité matérielle en Lui, et non un rejet de Sa personnalité spirituelle. Le Brahman désigne en dernière analyse Dieu, la Personne Suprême. La réalisation du Brahman impersonnel ne représente qu'une conception négative de la création matérielle. Le Paramatma constitue pour Sa part l'aspect localisé de ce Brahman dans toutes les formes de corps matériels. Mais la réalisation ultime, celle du Brahman Suprême, correspond à la réalisation de Dieu, la Personne Suprême; c'est ce qu'établissent tous les Ecrits révélés. Il est la Source ultime de tous les Visnu-tattvas.
"Les Puranas constituent quant à eux d'autres suppléments des Vedas. Les mantras védiques en soi présentent de trop grandes difficultés pour l'homme du commun. Les femmes, les sudras et les membres déchus des familles de vaisyas, de ksatriyas et de brahmanas sont incapables de percer le sens profond des Vedas. C'est alors que l'Itihasa, ou le Mahabharata, et les Puranas entrent en jeu, car ils sont composés de façon à permettre une compréhension facile des vérités contenues dans les Vedas.
"Dans ses prières à Sri Krsna encore enfant, Brahma déclare que la bonne fortune des habitants de Vrajabhumi, sur qui règnent Sri Nanda Maharaja et Yasodamayi, ne connaît aucune limite, car l'éternelle Vérité Absolue S'est faite leur proche intime. Les mantras védiques soutiennent que la Vérité Absolue ne possède ni bras ni jambes, mais que pourtant Elle Se déplace plus vite que tout être et prend toute chose qu'avec dévotion on Lui offre. Ainsi, bien que les bras et les  jambes de l'Etre Suprême se distinguent des membres matériels que nous connaissons, l'Absolu est bel et bien une personne, comme le démontrent ces assertions des Vedas.
"Le Brahman, donc, n'est jamais impersonnel; cependant, une interprétation indirecte des mantras védiques peut laisser croire à tort que la Vérité Absolue demeure un objet impersonnel. Cette Vérité Absolue, Dieu, la Personne Suprême, possède toutes perfections à l'infini; aussi est- Il également doté d'une Forme toute spirituelle, toute d'existence éternelle, de connaissance et de félicité. Comment dès lors peut-on affirmer impersonnelle la Vérité Absolue ?
"Le Brahman, entièrement pénétré de perfections, détient d'innombrables puissances, qui toutes se divisent, selon l'autorité du Visnu Purana (VI.7.60), en trois groupes principaux, correspondant aux trois énergies premières du Seigneur, Sri Visnu. Son énergie spirituelle, de même que l'énergie constitutive des êtres vivants, sont dites constituer Son énergie supérieure, alors que l'énergie matérielle, issue de l'ignorance, constitue Son énergie inférieure. L'énergie à laquelle appartiennent les êtres vivants est désignée par le terme technique de ksetrajna. Cette ksetrajna-sakti, bien qu'elle soit qualitativement égale au Seigneur, peut, sous l'influence de l'ignorance, connaître le joug de l'énergie matérielle, et subir alors toutes sortes de souffrances matérielles. En d'autres mots, les êtres vivants, qui appartiennent à cette énergie marginale, se situent entre l'énergie spirituelle supérieure et l'énergie matérielle inférieure; en fonction de leur plus grande proximité avec l'énergie matérielle ou l'énergie spirituelle, ces êtres connaissent des niveaux d'existence plus ou moins élevés.
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"Le Seigneur Suprême, pour Sa part, transcende les énergies inférieure et marginale. Il est pleinement établi dans Son énergie spirituelle, qui se manifeste selon trois modes: l'existence éternelle, la félicité éternelle et la connaissance éternelle. L'existence éternelle relève de Sa puissance sandhini, la félicité et la connaissance respectivement de Ses puissances hladhini et samvit. En tant que Seigneur Suprême, Source de toutes les énergies, Il est le Maître ultime des énergies spirituelle, marginale et matérielle, et toutes ces variétés d'énergies et de puissances se trouvent liées au Seigneur à travers le service de dévotion éternel.
"Le Seigneur Suprême jouit donc d'une félicité infinie dans Sa Forme spirituelle éternelle. N'est-il pas dès lors ahurissant qu'on ose Le prétendre dépourvu de puissances ? Il est le Maître de toutes -les énergies, quand les êtres distincts constituent des fragments d'une de Ses énergies. Une différence incalculable sépare donc le Seigneur des êtres distincts. Comment dès lors affirmer que le Seigneur et les êtres distincts sont en tous points identiques ? D'autre part, la Bhagavad-gita établit également que les êtres distincts appartiennent à l'énergie supérieure du Seigneur, et les lois d'interrelation étroite entre l'énergie et sa source nous permettent de comprendre que les êtres distincts et le Seigneur ne forment; dans ce sens, qu'une seule et même réalité. Mais gardons également à l'esprit qu'ils demeurent éternellement distincts, dans la mesure où l'énergie est toujours différente de sa source.
"Terre, eau, feu, air, éther, mental, intelligence et faux ego appartiennent tous aux énergies inférieures du Seigneur, et les êtres vivants, qui appartiennent à Son énergie supérieure, se distinguent de toutes. Tel est l'enseignement de la Bhagavad-gita.
"La Forme spirituelle et absolue du Seigneur, quant à elle, existe éternellement, dans la félicité spirituelle la plus pure. Or, comment cette Forme pourrait-elle être un produit de la Vertu matérielle ? Par suite, quiconque refuse de croire en la Forme personnelle du Seigneur est certes un être démoniaque de la pire espèce, rendu intouchable par sa bassesse, indigne d'être même aperçu et méritant d'être châtié par le roi des régions plutoniennes.(Il s'agit de Yamaràja, le deva qui punit les mécréants pour leurs action coupables.)
Ceux qui, par ailleurs, prétendent observer la norme védique mais font fi de ces conclusions représentent de véritables dangers pour la société, plus encore que les Bouddhistes, par exemple, dont les vues athées et l'irrespect des Vedas sont universellement reconnus.
"Ainsi, Srila Vyasadeva a eu la grande bonté d'inclure tout le savoir védique dans Son Vedanta- sutra, mais quiconque prête l'oreille au commentaire qu'en donnent les mayavadis (ceux qui appartiennent à la Sankara-sampradaya) sans nul doute s'égarera sur la voie de la réalisation spirituelle.
"Le Vedanta-sutra traite d'abord de la théorie des émanations, selon laquelle toutes les manifestations matérielles proviennent, ou émanent, de la Personne Suprême et Absolue, Dieu, à travers Ses multiples et inconcevables puissances. Cette théorie est illustrée par l'exemple de la pierre philosophale, qui peut convertir en or une quantité illimitée de fer tout en conservant son intégrité. Car, le Seigneur Suprême peut, par Ses inconcevables puissances, créer l'infinité des univers tout en restant identique à Soi, parfait et complet en Lui-même. Il est purna,
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complet en Lui-même, et bien qu'un nombre infini de purnas, de touts également complets en eux-mêmes, émanent de Lui, Il demeure toujours purna.
"L'école Mayavada préconise pour sa part la thèse de l'illusion, en basant sa théorie sur le fait que la Vérité Absolue, en faisant naître Ses émanations, Se transformerait. Mais si tel était le cas, Vyasadeva serait dans l'erreur. Pour ne pas affronter la réalité, les impersonnalistes ont donc habilement mis au point cette théorie de l'illusion, selon laquelle l'entière création serait irréelle. Mais la manifestation cosmique n'a rien d'irréel, elle est simplement temporaire. Comment peut-on dire que du seul fait de son impermanence, une chose n'a aucune existence réelle ? D'autre part, le concept selon lequel le corps de matière constitue l'être en soi ne correspond certes pas à la réalité.
"Le pranava, ou l'omkara (om), constitue l'hymne primordial des Vedas. Tous les hymnes védiques reposent sur ce pranava omkara, sur cette vibration sonore spirituelle qui n'est pas différente de la Forme du Seigneur. Le tattvamasi n'est qu'un mot secondaire dans les Textes védiques, et il ne saurait constituer l'hymne primordial des Vedas. Or, Sripada Sankaracarya a donné plus d'importance au mot tattvamasi qu'au principe fondamental de l'omikara (Dans LEnseignement de gri Caitanya Mahiprabhu, nous avons expliqué de façon plus élaborée toutes ces subtilités philosophiques, que résout par ailleurs entièrement le grimad-Bhffgavatam.)
Ainsi Sri Caitanya parla-t-Il du Vedanta-sutra, défiant toute la propagande de l'école Mayavada. Le Bhattacarya tenta bien de se justifier, de défendre l'école Mayavada en jonglant avec la logique et la grammaire, mais les arguments implacables du Seigneur vinrent à bout de son érudition. Sri Caitanya soutint que nous sommes tous unis au Seigneur Suprême par un lien éternel, et que cette union, réalisée par des échanges divers, se manifeste à travers le service de dévotion, qui est notre fonction éternelle. Que ce service trouve son aboutissement dans le premù, ou pur amour de Dieu. Et que lorsqu'on connaît cet amour pour Dieu, il s'ensuit l'amour de tous les autres êtres, puisque le Seigneur représente en Lui-mêre la totalité des êtres vivants. Sri Caitanya ajouta par ailleurs que tout enseignement védique non lié à ces trois éléments -notre relation éternelle avec Dieu, nos rapports avec Lui et le développement de notre amour pour Lui- ne peut être que détourné de son sens, et futile. Puis Il ajouta que la philosophie mayavada, enseignée par Sripada Sankaracarya, n'est qu'une explication chimérique, un jeu de l'imagination à propos des Vedas, mais en précisant qu'il devait en être ainsi, car Sankaracarya avait reçu du Seigneur Suprême l'ordre d'enseigner de cette façon. En effet, le Padma Purana nous apprend que le Seigneur Suprême ordonna un jour à Siva d'écarter de Lui la race humaine. Dans quel but Dieu Se voulait-Il ainsi voilé ? C'était afin d'encourager les hommes à se multiplier davantage. Siva dit à Devi, son épouse: "Dans l'âge de Kali, j'enseignerai, sous la forme d'un brahmana, la philosophie mayavada, qui n'est en fait qu'un bouddhisme déguisé. "
Après avoir entendu les paroles de Sri Caitanya Mahaprabu, le Bhattacarya est frappé d'émerveillement et d'admiration; il fixe le Seigneur dans le plus profond silence. Mais le Seigneur lui assure alors qu'il n'y a pas lieu de s'émerveiller: "Je dis simplement que le service de dévotion offert à Dieu, la Personne Suprême, est le but ultime de la vie humaine." Il cite ensuite un sloka du Srimad-Bhagavatam et lui certifie que même les âmes libérées, absorbées dans le monde du spirituel et dans la réalisation de l'Absolu, adoptent le service de dévotion qu'on offre
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au Seigneur, Sri Hari, car l'Etre Divin possède de telles qualités spirituelles qu'Il fascine même les âmes libérées.
Le Bhattacarya manifeste alors le désir d'entendre de Sri Caitanya l'explication du verset atmarama du Srimad-Bhagavatam (S.B., 1.7.10). Le Seigneur demande d'abord au Bhattacarya de donner sa propre explication, après quoi Il fera connaître la Sienne. (Le texte entier de l'explication donné par Sri Caitanya couvre plusieurs pages, et nous l'avons présenté dans l'un des chapitres de notre ouvrage intitulé L'Enseignement de Sri Caitanya Mahaprabhu.)Le Bhattacarya entame alors une explication très érudite du sloka, en s'appuyant sur divers éléments de logique. Il donne ainsi neuf explications différentes du sloka, principalement basées sur la logique (il est le logicien le plus renommé du temps). Le Seigneur rend alors hommage à son érudition, puis, sur la demande du Bhattacarya, explique à Son tour le sloka. Mais Il en