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Hommage à Guruji HOMMAGE A GURUJI 2 Yogashtah par Sameer Kulkarni AGENDA 14 Stage avec Geeta Iyengar, Yoganushasanam, en décembre 2015 14 YOGA FESTIVAL PARIS, du 23 au 26 octobre 2015 14 Professeurs reçus ADDENDUM 14 Professeurs reçus Association Française de Yoga IYENGAR® 83, boulevard de Magenta 75010 Paris Tel/Fax : 33 (01) 45 05 05 03 Courriel : [email protected] - Site internet : www.yoga-iyengar.asso.fr Association déclarée n° 103 380 P (du 4/02/92) siret n° 447 701 335 00021 ®utilisé avec la permission de B.K.S. IYENGAR, dépositaire de la marque

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Page 1: Samyoga 27bis final - AFYI · 2015-09-08 · En réalité, je suis un élève de Prashant Iyengar. En étudiant avec lui, ma crainte du sujet s’est dissipée. Il existe une relation

Hommage  à  Guruji          

Ø HOMMAGE  A  GURUJI    2     Yogashtah  

par  Sameer  Kulkarni    Ø AGENDA  14     Stage  avec  Geeta  Iyengar,  Yoganushasanam,  en  décembre  2015 14     YOGA  FESTIVAL  PARIS,  du  23  au  26  octobre  2015  14     Professeurs  reçus   Ø ADDENDUM  14     Professeurs  reçus  

Association Française de Yoga IYENGAR® 83, boulevard de Magenta 75010 Paris – Tel/Fax : 33 (01) 45 05 05 03 Courriel : [email protected] - Site internet : www.yoga-iyengar.asso.fr

Association déclarée n° 103 380 P (du 4/02/92) – siret n° 447 701 335 00021 ®utilisé avec la permission de B.K.S. IYENGAR, dépositaire de la marque

daniel-michele
Texte tapé à la machine
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Ø HOMMAGE  A  GURUJI  Pour   marquer   l’anniversaire   du   décès   de   BKS   Iyengar   en   août   2014,   nous   avons   choisi   de   vous  présenter  le  témoignage  ci-­‐dessous,  à  la  fois  profond  et  émouvant.     Yogashtah  Celui  qui  est  fermement  et  complètement  établi  dans  le  Yoga  (NDT  :  cf.  Bhagavad  Gita,  Chp.  2,  VS  48).    Par  Sameer  Kulkarni  (Article  publié  en  ligne  dans  Anubhav-­‐  magazine  de  Times  of  India  et  traduit  du  marathi  par  la  petite-­‐fille  de  BKS  Iyengar,  Abhijata  Sridhar.  Le  texte  a  été  lu  lors  de  la  convention  Yoganushasanam  en  décembre  2014  à  Pune.)  Traduction  en  langue  française  :  Marie-­‐Laurence  Cros  

Cela fait trois semaines que Guruji est parti. Je n’ai toujours pas réussi à reprendre mes esprits après cette perte personnelle. Une force intérieure me presse d’aller sur mon ordinateur et d’écrire sur ce grand homme. Sa vie défile dans mon esprit. Je suis un témoin direct de petits aperçus de sa vie qui constituent une petite partie de son existence, c’est-à-dire 17-18 ans. Le reste de sa vie est historique. J’ai recueilli une myriade d'entretiens et d’articles dans des publications allant des petits magazines locaux au magazine Times de renommée internationale. Il y a une quantité innombrable de gens qui le connaissaient et je suis certain que chacun aura une histoire unique à raconter à son sujet. Y a-t-il quelque chose en plus et au-delà de tout cela dont j’estime digne d'être l’auteur ? Je suis certain que je ne veux dramatiser ne serait-ce qu’un seul épisode de sa vie, je ne veux amplifier aucun de ses actes d'aucune manière qui puisse l’aliéner en lui donnant une identité divine et je ne veux pas fanfaronner en rendant public les rapports que j’ai pu avoir avec lui. Pourtant, j’ai envie d’écrire sur lui. Alors, que vais-je écrire ? Qu’y a t-il à son propos qui m’appelle doucement de l'intérieur à prendre la plume ? Stephen King, l’auteur d'un livre « Sur l'écriture », a dit, « Si vous voulez comprendre une personne, regardez en vous-même. Creusez dans votre passé. Cherchez son essence profonde dans votre vie. Nettoyez le sol autour des racines et vous vous rendrez compte que le personnage que vous cherchez à l’extérieur est en fait une partie de vous-même ». Me voici assis à regarder l'écran vierge de mon ordinateur et dans mes jours passés. *****

Voici une histoire qui remonte à 20 ans. Mes études de médecine touchaient à leur fin. « En tant qu’étudiant en médecine, on accordait

beaucoup d'importance et d’efforts, à la compréhension des maladies. Toutefois, si l'on observe la période au cours de laquelle on n’est pas affecté par la maladie, est-il possible d’obtenir des indices susceptibles de comprendre les secrets de la santé ? ». La quête d'une réponse à cette question m’a longtemps perturbé. J’ai cheché à droite à gauche, ici et là, et suis passé de cours de gym en programmes spirituels. Le résultat ne fut qu’une satisfaction temporaire qui éclatait telle des bulles de savon, comme la croyance erronée que quelque chose d'important avait été fait et a donné matière à discussion en société. Je ne saisissais rien d’autre. Un jour en bavardant à l’heure du thé à la maison, je lançais au hasard, « J’envisage d’apprendre le yoga ». Mon frère ainé se leva immédiatement, m’apporta sa copie de « Lumière sur le Yoga » et me la donna. Ce livre, signé BKS Iyengar, avait de belles photos, une présentation attrayante et un papier agréable au toucher. Ce livre avait de la classe. Sur la première page, mon frère écrivit : «Ceci est un livre pour l'étude, pas seulement pour la lecture. Si l’on entreprend l’étude appropriée de ce livre, la lecture de tout autre ouvrage devient superflue ». « Eh! dans ce cas, pourquoi ne me l’as-tu pas donné avant ? », lui ai-je demandé. « Il faut laisser du temps au temps. Quoi qu'il en soit, commence à étudier. Si tu suis les instructions données dans ce livre à la lettre, tu ne pourras pas te tromper ». Sans laisser aucune chance de poursuivre la conversation, il s’en alla. J’ai commencé à étudier. Avec le temps, j’ai senti que je commençais à maîtriser les instructions de base liées au corps. J’ai aussi commencé à m’amuser en exécutant les asanas simples. «Très bien pour le livre. Mais pourquoi ne pas aller voir Guruji lui-même ? Pourquoi ne vas-tu pas à l’institut ?». Des gens viennent du monde entier étudier avec lui avec vénération et tu ne peux pas faire quelques kilomètres ? », me demanda-t’il avec une profonde curiosité teintée d'exaspération. Il avait raison. Il y eu 4 ou 5 fois de telles confrontations

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et pourtant je suis resté velléitaire. «Je devrais y aller, mais je n’ai pas le temps, ce n’est pas possible ». Beaucoup de raisons étaient artificielles. Mon point de vue s’est renforcé et j’ai même gagné le soutien de quelques amis avec ces arguments. Quelle était la réalité ? De quoi avais-je peur ? Qu’est-ce qui me rendait si mou du genou pour ne pas y aller ? Je connaissais pertinemment la véritable raison au fond de moi. Dans mes années d’université, il y avait deux personnalités émérites dont la vie occupait mon esprit. J’ai emprunté les opinions d’auteurs d'articles et les ai faites miennes. Pas la peine de les blâmer. C’était moi le fautif. Le premier était Vinoba Bhave. C’était un idiot qui n’entendait rien au questionnement des esprits contemporains. Qu'il ait pu atteindre shoonyavastha (état zéro en méditation) suffisait à le ridiculiser. C’était à la mode pour les intellectuels de comptoirs de tout savoir sur lui. Je suis devenu « victime » de cette mode. Sans même lire une seule lettre de ses œuvres littéraires, je suis devenu comme un idiot, expert en commentaires rétrogrades imaginaires. Il a fallu dix ans pour que je m’aperçoive que j’étais sot et stupide. La deuxième personnalité était BKS Iyengar. Je rapportais que si vous alliez chez lui pour apprendre les asanas, il vous battait, s’asseyait sur vous et vous brisait le dos. C’était des idées empruntées à des articles de journaux et magazines. (Lors de son 95ème anniversaire, Guruji raconta dans son discours, qu’autrefois, on disait fréquemment que B.K.S. était l’acronyme pour « Beat, Kick and Shout Iyengar » (Iyengar, celui qui « bat, cogne et crie »). La vérité vraie, c’est que j’avais peur de cette impression que j’avais de lui, celle d’un yogi intense, colérique et austère qui pouvait vous donner un coup de pied rien que pour le regarder. Toutefois, mon frère persistait. D’une façon ou d’une autre, j’ai fini par m’inscrire aux cours à l’institut. Quand je suis allé à l'Institut de Yoga Iyengar (Ramamani Iyengar Yoga Memorial Institute) pour la première fois, c’était il y a 17-18 ans. Guruji avait presque 80 ans. A ce moment-là, Guruji avait cessé d'enseigner dans les cours généraux. Toutefois, on pouvait toujours le voir dans les cours thérapeutiques. À d'autres moments, il avait ses propres rendez-vous avec son sujet. Sa pratique était à heure fixe et on pouvait le voir pratiquer dans la salle dans ces créneaux horaires. Il faisait souvent ses postures avec l'aide de tapis antidérapants, de briques et de traversins. Instinctivement, je m’abstenais d'aller près de lui alors qu'il faisait sa pratique. Le simple fait de le voir était un magnifique cadeau. Même s’il était silencieux, même s’il n’enseignait rien, on pouvait en quelque sorte sentir qu’on était en présence d'un grand homme. Sa seule présence dégageait une force incroyable. «Le corps est mon temple et les asanas sont mes prières.» Avec le souvenir entourant cette citation, avec la pratique religieuse de Guruji comme illustration, cette

image est encore présente à mon esprit aujourd'hui. Cependant à l'époque, je ne le voyais que de loin. Il en fut ainsi de nombreuses années.

****** En réalité, je suis un élève de Prashant Iyengar. En étudiant avec lui, ma crainte du sujet s’est dissipée. Il existe une relation entre le corps et le yoga, mais ce n’est pas une fin en soi. C’est un darshan complet, qui transcende le corps - cette prise de conscience est venue à moi grâce à lui. Les questions auxquelles je cherchais désespérément des réponses se sont évanouies grâce à son enseignement. Un jour, en cours, il nous a fait faire Eka Pada Rajakapotasana. Nous avons tiré la jambe vers la tête en affectant des visages bizarres, le souffle coupé, les dents serrées et les lèvres pincées. Prashant a observé notre lutte pendant un moment puis a dit de façon inattendue et avec vigueur : « Revenez !». « Venez-voir », il nous conduisit vers une photo dans la salle de pratique.

BKS Iyengar dans Eka Pada Rajakapotasana

Dans la salle principale de l'institut sont affichées de nombreuses photographies agrandies de « Lumière sur le Yoga ». Prashant se tenait près de la photo d’Eka Pada Rajakapotasana. Nous l'avons suivi. Il désigna cette photographie. Il était évident de voir comment Guruji faisait ce que nous essayions de faire. L’œil ne pouvait passer à côté de la beauté et d’un tel chef-d'œuvre. Quoi qu’ait pu en dire Svatmarama dans Hatha-yoga Pradipika – angalaghava, c’est-à-dire la légèreté du corps etc. ... tout cela était limpide. Il n’y avait rien à ajouter. « Ne regardez pas la posture », Prashant nous opposa un

mur infranchissable. Naturellement, j’étais aussi abasourdi. « Regardez son visage. Il n’y a pas un seul pli sur son

front, les yeux sont passifs et le regard pur. Examinez son corps tout entier et ses sens, chaque coin et recoin de son corps. Il reflète complètement son état de détente. Comprenez cet état de paix. Comprenez cet état de calme. Tous ses sens sont en éveil, il est alerte, vigilant et totalement équilibré même dans cette posture difficile. Pouvez-vous réaliser cela ? Nous faisons l'asana, Guruji lui, actualise le yoga – c’est la différence essentielle entre Guruji et nous ». En un instant, je sentis comme si quelqu'un m’avait éclairé avec une torche extrêmement puissante et

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lumineuse. L’obscurité avait disparu.

****** Le lendemain, je suis allé à la salle de l'institut à un moment où personne ne serait là. Croyez-le ou pas, j’ai vérifié chaque photo. Ce qu’avait dit Prashant était absolument criant de vérité. L’état de calme n'était perturbé dans aucun asana. Pas une seule partie du corps ni de la peau ne révélait un stress ou un relâchement quelconque. (Ces photographies ont été prises en 1962 - avant que Photoshop ne fasse son apparition). Il n'y avait aucune possibilité de modification ou de retouche. Même si le même visage de chaque asana avait été collé sur le corps faisant un tout autre asana, tout aurait semblé à sa place. - une sérénité si profonde et si singulière. Une équanimité d’un tel niveau que Tadasana exécuté à l'envers devient Sirsasana et Sirsasana dans l’autre sens, devient en effet Tadasana! « Nous faisons l'asana, et Guruji actualise le yoga». (NDT : cf. étymologie, faire passer du virtuel au réel). Je n’ai rarement entendu une déclaration qui donne une compréhension aussi claire. Je me souviens encore combien j’étais hypnotisé par la

performance de Guruji en Padangustha Dhanurasana dans ses dernières années. Je trouvais étrange que l’homme qui puisse faire un Padangustha Dhanurasana aussi fascinante habite juste à côté. Je trouvais étrange qu’il vive toujours dans cette maison. C’est alors que j’ai entendu Guruji rire de bon cœur. Juste devant la maison. Il avait dit quelque chose à quelqu'un et riait avec ravissement et sincérité. Il portait en bas un vêtement appelé « veshti », et en haut, une Kurta de soie, ses cheveux blancs soyeux étaient soigneusement peignés en arrière. Ses sourcils féroces étaient resplendissants et il portait une longue marque rouge longue et lumineuse sur son front appelée « Sricharan ». Ce n’était pas seulement son visage, mais tout son être participait à ce rire. Je suis descendu et me suis incliné devant lui. «Namaskar ...Namaskar», a t-il dit à la hâte, je crois. Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai réalisé

qu’à chaque fois que je touchais ses pieds, il disait affectueusement « Namaskar » deux fois de suite.

«Vous pratiquez régulièrement, n'est-ce-pas ?», a-t’il demandé tout en retirant ses mains après m’avoir béni. Bien que nous ne connaissions pas, ce fut sa première question à mon endroit. J’ai juste hoché la tête de manière à ne pas exprimer un «non» et me suis éloigné. Il retourna ensuite à sa conversation et se mit de nouveau à rire généreusement. Guruji vivait la vie intensément. Guruji qui vivait sa vie

avec tant de vie m’avait jeté un sort. Je fus envoûté. «Guruji sait ce qu’est le yoga. Il connaît les enseignements de Patanjali de l'intérieur. Même si vous le suivez aveuglément, quel que soit votre point de départ, il vous emmènera vers ces plans supérieurs»,

avait dit mon frère en me donnant son exemplaire de «Lumière sur les Yoga Sutras». J’ai vite commencé à étudier d'autres livres de Guruji

avec sincérité. J’ai aussi regardé les DVDs de ses enseignements sur plusieurs années. J’ai écouté attentivement chacun de ses mots. Pour comprendre cela, j’ai essayé d’appliquer ses enseignements dans ma propre pratique. Quand il pratiquait à l'institut, je passais simplement des heures à le regarder et à apprendre de tout ce qu'il faisait. J’ai réalisé une chose. Si je devais apprendre quelque chose de Guruji, c’était son rapport à la vie et comment la vivre. C’est cela le yoga.

****** La première fois que j’ai vu Guruji enseigner en direct, c’était à l’occasion de son 85ème anniversaire. Pendant deux jours de cours, j’étais assis sur les marches. Voici les souvenirs qui me reviennent par vague de ces sessions : «Nous avons créé le système des quatre castes dans notre propre corps - Brahmane, guerrier, marchant et esclave. Nous donnons le statut de Brahmane à la tête parce que notre intellect fonctionne à partir de là. Le rôle de faire fonctionner ou d’échanger revient au cou, à la poitrine et à l’estomac, c’est la notion d’absorber quelque chose, d’en extraire le nutriment et de rejeter ce qui n’est pas nécessaire. Si vous regardez vos mains, vous verrez qu'elles appartiennent à la classe des guerriers. Leur but est de protéger. En cas d’attaque, c’est leur responsabilité de répondre. Les jambes sont esclaves du corps. Elles doivent supporter, sans broncher, tout le poids du corps tout au long de la vie. Cependant avez-vous jamais songé que vous devez briser ce système de castes qui prévaut dans votre propre corps ?». Je n’étais pas très sûr du message qu'il voulait transmettre. Pendant un moment, je fus nerveux à l’idée qu’il essayait de justifier le système des castes. «Pourquoi ne faites-vous pas faire à la tête le travail des jambes à un moment donné ou ne guidez-vous pas les mains pour créer l’harmonie avec l’estomac ? Avez-vous ces connexions internes? Quand nous montons en Sirsasana ... », il se tourna vers l'étudiant sur la plate-forme et dit, « Fais Sirsasana ». Je n’avais jamais entendu donner une instruction avec un tel élan. La force et la clarté avec laquelle il avait dit cela, était si singulièrement spéciales, c’était comme si Sirsasana allait prendre vie avec sa grosse voix caractéristique.

BKS Iyengar dans Sirsasana

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Qu’est-ce que cela veut dire quand vous dites « Je fais Sirsasana »? Simplement se tenir debout sur la tête ? Garder l’équilibre ? Sur un certain plan, bien sûr, c’est le cas. Toutefois, la plus grande leçon à en tirer, c’est que nous faisons faire à la tête l'expérience du travail des jambes. Comprenez la prouesse que de supporter et équilibrer le poids de l’ensemble du corps et la façon dont les jambes le font sans aucune hésitation. Vous avez fait Sirsasana pendant tant d'années. Qu'avez-vous appris ? Quand vous transférez la responsabilité des jambes à la tête, quel message leur faites-vous passer ? Vous leur dites d’observer l'espace tout autour. Laissez des antennes sortir de votre peau comme des yeux. Pouvez-vous évaluer votre position dans cet espace et à ce moment précis grâce à elles ? À d'autres moments, voyez comment c’est votre cerveau qui fait cela instantanément ...en êtes-vous conscient ? Lorsque les rôles sont échangés, nous comprenons la valeur de chacun. Il suffit de voir. Nous changeons le contexte et c’est toute la compréhension qui change. C’est ce que Patanjali entend par «vitarka badhane pratipaksha bhavanam ». Il y avait un couple de personnes de l'étranger qui étaient assises à côté de moi dans les escaliers et qui étaient plongées dans leur prise de notes. Leur vitesse d'écriture ne parvenait pas à suivre le débit de Guruji. Pourtant, elles n’ont pas abandonné. La course était lancée. Cela m’amusait. « Nous ne parvenons pas à comprendre ces subtilités parce que notre sensibilité n’est pas exercée. Etes-vous capables de voir, sentir et de percevoir ? Tant que tous les systèmes, que chaque organe et chaque cellule de votre corps ne travaillent pas de façon coordonnée et jusqu’à ce que cela arrive, tout sera fragmenté. Asana ne s’applique pas seulement à ce corps physique, c’est quelque chose qui modèle et façonne notre intelligence, notre mental et nos pensées. Il s’agit d’un processus intégral et de surcroît le seul qui développe une bonne communication à l’intérieur de votre propre corps. Il change la texture de votre Chitta, cultive votre intelligence et aiguise votre sensibilité. » Guruji parlait comme une cascade. Il voulait transmettre une multitude de choses en un seul instant. Finalement, la dame assise à côté de moi renonça à son ouvrage obstiné. Elle ferma son cahier et regarda vers l’estrade. Au bout d’un certain temps, elle se tourna vers moi et dit en plaisantant « Les gestes de Guruji parlent beaucoup plus que ses paroles, non ?».

******* Des années plus tard, quand j’ai rencontré Guruji alors que je traduisais son livre, «Yoga Sutra Parichaya » en marathi, je me suis souvenu de cette anecdote. La même énergie et la même ardeur. «SamK, la vie c’est comme le fleuve Amazone», me dit-il en me montrant le courant avec un geste de sa main, avec une telle puissance, que le fleuve lui-même apparu devant mes yeux. « Il s’écoule sans cesse.

Jatyantara parinama prakrityaapooraat. Votre traduction devrait couler avec la même force». Les  traductions  devraient  être  comme  cela.  Pourquoi  se  contenter  d’une  traduction  ?  Il  pourrait  être  s’agir  de   n’importe   quoi,   de   toute   forme   d'art   ou   de   vie,  voire   de   tout   travail   que   l'on   a   entrepris   -­‐   chaque  chose  doit  être  aussi  vivante  et  fluide. ...Quelle instruction à la fois claire et complète.

L’Amazone

Quand je suis rentré à la maison et ai raconté à mon frère ce que Guruji avait dit à propos de la sensibilité et à quel point c’était formidable, mon frère m'a immédiatement interrompu et dit : « Ne te contente jamais simplement d’entendre les paroles de Guruji. Si tu fais ça, tu vas tomber dans le piège. Écoute l'intention, l'intensité et la pureté de ce qu'il dit. Mets cela en perspective, sinon tu vas rater le train. Ses mots sont tellement enchanteurs et précis, que tu seras aspiré par le sujet. Mais tu dois apprendre à retenir l'essence et la substance de ses affirmations. Il est au-delà des mots. Beaucoup de gens ne comprennent pas cela. Yehudi Menuhin avait compris lui, et c’est pourquoi il l'appelait son meilleur professeur de violon. Essaye d’explorer ce que Menuhin voulait dire par là. Il l’a magnifiquement paraphrasé » me dit-il. Je me sentis de plus en plus petit et il rétorqua : «Eh bien ! Si tu comprends tout cela, alors pourquoi ne viens tu pas en cours ? Pourquoi n’étudies-tu pas le yoga ? » «Humm ... pas dans cette vie», puis il mit définitivement fin à la conversation. Yehudi Menuhin était un virtuose du violon mondialement connu. Il avait offert à Guruji une montre sur laquelle était gravé : «A mon meilleur professeur de violon». J’ai eu la chance de voir cette montre et me suis souvenu de la conversation que j’avais eue avec mon frère. J’ai commencé à me demander pourquoi il avait dit tout cela en réalité. Menuhin était un élève de Guruji à ses débuts. Il a écrit la préface du livre «Lumière sur le Yoga». Nous pouvons être certains que Guruji n'a pas enseigné la technique du violon à Menuhin. Il excellait déjà dans l’exercice. Il était né avec ce don. Jouer de l'instrument est une partie cruciale de l'art de jouer du violon, mais ce n’est pas la seule. Guruji a dû lui apprendre que le violon était juste une extension de son propre corps, de sa conscience et de sa sensibilité. Guruji lui a peut-être fait prendre conscience du point de rencontre entre son violon et lui-même et le son qui émane de cette rencontre, ne sont rien d’autres que des actions yogiques. Guruji a approfondi encore et encore la sensibilité de Menuhin pour son art peut-être jusqu’à lui faire prendre conscience de la façon dont il pouvait s’exprimer

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pleinement à travers lui. En lui montrant la relation entre l'art et l'énergie dynamique de la vie à travers la pratique des asanas via l'instrument qu’est le corps, il doit avoir enseigné à Menuhin à percevoir cette relation entre cette énergie dynamique et son art en utilisant le violon comme instrument. Guruji a dû montrer à Menuhin que l'élargissement de la compréhension de l'art menait à l'exploration du Soi et à une splendide grandeur.

BKS Iyengar enseignant Yehudi Menuhin

Dans le cadre des célébrations du 90ème anniversaire de Guruji, nous avons fait un album, sur la première page duquel est écrit de la main de Guruji : «Le Yoga n’est pas une religion. C’est la science de la religion qui fait que vous comprenez mieux votre propre religion». Cette citation est comme celle de Menuhin –parfaitement bien formulée et exprimée avec précision. Même si elle englobe la totalité du sujet du yoga, chaque individu selon ses capacités pourra y trouver un grand potentiel de sens. Dans l'un des entretiens que nous avons eus avec Guruji, il a dit ceci : «J’ai dû beaucoup approfondir pour trouver quel langage choisir, quels mots utiliser en enseignant le yoga aux élèves. Je devais trouver quels mots produisaient les effets désirés. J’ai commencé à les valider et à les ajuster. C’est ainsi qu’est apparu un langage particulier pour enseigner. Parfois, trouver le mot correct pour décrire une expérience particulière, m'a pris 30 à 40 ans. Si vous devez vous plonger dans n’importe quel art et comprendre son essence, vous devez être prêt à faire face aux difficultés. »

****** L'écran de mon ordinateur est toujours vierge. Je continue à bouger la souris pour qu’il ne se mette pas en «mode veille». Je n’ai pas encore l’étincelle qui me dit quoi écrire. Au contraire, je suis incapable de décider quoi choisir et quoi laisser de côté. Tout ce qui me vient à l’esprit à ce moment là en vaut la peine, cependant mon intelligence me met en garde : ce n’est pas la bonne façon de faire. J’ouvre un dossier avec des photos. Il y a des photos de Guruji à Bellur. Guruji qui fait des plantations, regarde des enfants de l'école Bellur pratiquer des asanas, fait une Puja, invoque Patanjali et en train de pratiquer. Je regarde ces photographies encore et encore. Peut-être suis-je en train de chercher un moyen de me sortir de cette impasse. La première pensée qui me vient à l'esprit est : Quelle incroyable vie a mené cet homme !

Il est né dans une famille pauvre dans un petit village appelé Bellur, qui n’était même pas sur la carte à l'époque. Enfant, il a été frappé par plusieurs maladies comme la tuberculose. Alors qu'il visitait sa sœur à Mysore, le mari de sa sœur, n’étant autre que le grand yogi T. Krishnamacharya, lui conseilla de pratiquer les asanas pour recouvrer la santé. Deux années passèrent où il demeura chez sa sœur pour apprendre les asanas. A la demande d'un certain M. Gokhale (NDT : un médecin local), T. Krishnamacharya, l'envoya dans un endroit étrange appelé Pune pour y enseigner le yoga. A Pune, Guruji n’avait ni famille ni la moindre connaissance. Il ne connaissait même pas la langue locale. Son professeur lui dit de le faire et, sans même poser une question, ce garçon obéit comme s’il suivait un ordre divin. Ce garçon prend une gamelle en aluminium, part avec un seul vêtement de rechange et voyage avec un billet acheté avec de l'argent emprunté. En arrivant à Pune, il commence à enseigner dans un club appelé Deccan Gymkhana. Il habite dans une auberge à proximité. Qui lui tient compagnie alors ? Des lutteurs immenses. La logique n’a rien à voir là-dedans. En l’espace de quelques jours, sa famille pense qu'il devrait se marier, et alors il se marie. Ce mariage fait entrer une fille appelée Ramamani dans sa vie. Son implication dans la Sadhana (l’ascèse yogique) de Guruji s’est révélée d’une importance capitale. Elle l'aida à façonner la science des asanas et du pranayama. L’institut de yoga connu dans le monde entier porte son nom. A ce stade, chaque récit vaudrait la peine de faire un film. Comment a t-il pu mener une telle vie qui pourrait facilement ressembler à un scénario ou être écrite sur-mesure avec le recul? Si quelqu'un me donne carte blanche pour créer un personnage comme je veux, un personnage qui peut sortir de nulle part et aller n’importe où, un personnage qui peut tout faire, même dans ces conditions, je ne serai pas en mesure de créer un personnage aussi magnifique que ce garçon de Bellur. Voici un personnage avec qui j’ai été en contact direct, et en réalité, c’est cette vie-là qui est venue à lui. Que je sois prêt ou non, la photo suivante m’arrête encore dans mon élan avec tout un flot de questions qui viennent à moi. Cet homme a commencé dans la vie avec sa femme et quelques ustensiles empruntés. Avec un aussi maigre revenu, la seule pensée de tenter sa chance dans autre chose que le yoga ne lui est-elle jamais venue à l’esprit ? Il avait cinq filles et un fils. Par frustration, a-t-il jamais été désabusé au point de renoncer au yoga pour prendre un emploi salarié à l'usine de munitions, afin de gagner sa vie ? (Je parle d’usine de munitions parce que j’ai entendu dire qu’en ce temps-là, il était facile de trouver du travail à l’usine de Khadki (NDT : base de l’armée proche de Pune). Et quand bien même, cela aurait sans doute été un travail d’Hercule que de joindre les deux bouts. Et pourtant, il fit son affaire quotidienne

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d’enseigner le yoga à quiconque se présentait, de parcourir à vélo près de 30 à 40 km à toute vitesse, pour aller enseigner. Comment est-ce que ce «fou» - comme l'appelaient ses voisins, trouvait-il la force et le courage de poursuivre le sujet qu’il avait choisi, même si la survie était en jeu ? Comment ciel se fait-t-il qu’une jeune fille ait la maturité nécessaire pour soutenir une décision aussi déraisonnable ? Comment ce couple, soi-disant sans éducation, n’a-t-il pas abandonné, face aux nombreux obstacles qui se sont présentés sur leur chemin ? Comment n’ont-ils pas succombé aux désirs mondains ? Comment ces deux personnes n’ont-elles eu qu’un seul et unique but, celui d’amener le yoga à la portée de tous ? Il a vraiment voyagé partout, mais au début, tout était loin d’être rose. Partout, ses actes étaient sa force. Grâce aux démonstrations qui peuvent se compter en milliers, il a touché le cœur des gens. Il a montré ce qui n’aurait pas eu de sens simplement en en parlant, et il a parlé de ce qu'il montrait. Ainsi, il a hissé le drapeau du yoga partout. Comment s’est-il tenu à tout cela comme le but suprême de la vie ? Son travail lui a valu des étudiants originaires de plus de 70 pays et des millions de personnes ont été attirées par le yoga. La beauté essentielle réside dans le fait que des milliers de personnes ont consacré leur propre vie à cette cause unique. Comment un homme simple a-t-il pu faire en sorte que ce soit possible ? Quelle est la réponse à toutes ces questions ? Peut-il y avoir une réponse à toutes ces questions ? On ne peut qu’être sous le charme. Ce n’est pas comme si dès qu’il avait commencé à enseigner, la célébrité, la gloire et la prospérité étaient venues à lui. Il y a toujours eu des batailles et des combats. Luttant pour sa survie et contre vents et marées. Pensez-donc, le sujet qu'il enseignait était le yoga - mystique, profond et spirituel, ce qui en faisait un sujet qui n’était pas pour l’homme ordinaire. Donc, ceux qui prétendaient être des yogis à cette époque là manifestaient en général bruyamment leur désapprobation. «Quand j’enseignais, je montrais ce que je voulais ou ce que je souhaitais que les élèves fassent, parce que à cette époque-là, mon vocabulaire était limité, très limité. Je n’avais pas l'expression adéquate. Donc, ma pratique avait deux branches. D'un côté, je me penchais sur la maîtrise des asanas et de l'autre, j’essayais de donner naissance à des expressions verbales adéquates. Sinon, mon enseignement n’aurait pas eu cette clarté. Je n’aurais pas pu partager ce que j’ai rencontré ou mes expériences. Si ce que je dis n’est pas exact, comment mes étudiants en viendront-ils à faire l’expérience de l’expérience qu’il y a à faire ? En écoutant Guruji le dire, cela peut ressembler à un processus linéaire, mais un étudiant ou un enseignant de yoga auront à la fois la sensibilité et la finesse de comprendre que ce n’est pas le cas.

Guruji témoignait de son expérience, et cette méthode n’a pas bien fonctionné avec les gens à l'époque. «Ce n’est pas Adhyatma (NDT : le chemin vers le Soi).

C’est juste un cirque de mouvements du corps. Quel genre de maître spirituel ou d’étudiant de yoga est-il ? C’est juste un acrobate». Toutes ces remarques le tournant en ridicule ont circulé. Guruji n’était pas affecté par ces commentaires. Il n'a pas été déstabilisé et est resté fermement établi dans ses principes. Il n’a enseigné que ce qu'il avait expérimenté et sentait qu’il avait raison. Il n'a jamais accepté aveuglément les mots dans les livres. Il n'a jamais prétendu que c’était ses enseignements à lui. Il n'a même pas suivi aveuglément Patanjali en supposant que ce qu’il avait dit devait être yogique. Il a expérimenté les sutras de Patanjali avec constance et intensité dans le laboratoire de son corps, de son mental (Chitta) et de sa conscience.

                                                                       Peu importe le résultat, il essayait et testait encore et encore. A partir de ce processus, il a développé la voie du yoga, pas seulement pour lui, mais pour tout à chacun. Les gens ordinaires considéraient le yoga comme quelque chose pour les sages et les saints de l'Himalaya qui ont quitté leur maison et leur famille et se sont consacrés à l’ascèse du yoga dans l'isolement. Guruji a coupé court à ce mythe et rendu le yoga accessible à vous et moi. Voilà sa contribution. A ce moment de la vie de Guruji, T. Krishnamacharya est venu rendre visite à Guruji à Pune. Il a également assisté à un des cours qu’il enseignait. T. Krishnamacharya fut bouleversé et lui demanda à la fin du cours « Où as-tu appris tout cela, Sundara ?» (Le prénom de Guruji était Sundaraja). Un jour, dans une interview à sa petite-fille, Guruji dit : «Ma langue maternelle est le kannada. Mon éducation a été très limitée. J’avais l'habitude d'enseigner notamment à Pune, Mumbai et à l'étranger. Plus d'une fois, ceux qui sont venus à mes cours étaient des savants ou des érudits. Si je commettais une erreur, le blâme serait retombé sur le yoga et mon Guru. Je n’ai jamais pu accepter cela. Par conséquent, je pratiquais et pratique toujours. Ma pratique impliquait la conscience de ce que je suis en train de faire et la sensibilité à tout ce qui se passe. Je comptais uniquement sur mon expérience et mon premier devoir était de la partager sous la forme de l’enseignement. Par conséquent ma pratique n’a jamais cessé et ne cessera jamais. Je suis un pratiquant de yoga. » La pratique ininterrompue, la pratique, la pratique. Il apparaît maintenant clairement qu'il avait adopté cela

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comme son mantra à l'époque et depuis lors, comme le seul moyen de survie. Qu'il ait accepté cela sans réserve est clair. Guruji a suivi le modèle de Ramdas à savoir – «Abhyasoni prakatave – Laissez-Le se manifester par la pratique». Patanjali parle de « sarvabhauma mahavratam ». Pour Guruji, le yoga lui-même était mahavratam (NDT : YS II-31 Le Grand vœu). C’était son exigence vis-à-vis de lui-même qu’à tout moment et qu’en toute circonstance, le Grand vœu devait être pratiqué et le serait. Il l’a suivi jusqu'à son dernier souffle. Voici un incident qui a eu lieu quelques mois avant sa disparition. Il prenait des médicaments, mais son état ne s’améliorait pas de manière significative. Il dit à Abhi, sa petite-fille, «Apporte deux bancs de Viparita Dandasana pour Savasana». Ces mêmes bancs, qui existent grâce à Guruji lui-même, furent apportés. Ils furent placés en regard l'un de l’autre et l’espace au milieu rempli de bolsters, de couvertures et de coussins de telle sorte qu'un appui très doux soit créé. Lorsque l’on fait Savasana ainsi, grâce au soutien du dos, la poitrine s’élargit. La respiration devient plus facile et plus libre. Guruji s’est installé dans la posture et est progressivement entré en Savasana. «Quand je suis dans un asana, je deviens l’asana»- Cette citation est devenue vivante juste là sous mes propres yeux. Abhi et deux autres sont restés près de lui au cas où il aurait besoin de quelque chose. Quand il ouvrit les yeux, il a vu ces jeunes là. D’un geste de la main il leur fit signe de s’en aller et ferma à nouveau les yeux. Cependant, ces enfants ne purent se résoudre à s’éloigner et restèrent en dépit de l’instruction de Guruji. Au bout d’un certain temps, Guruji ouvrit les yeux et là, il vit ces jeunes encore debout autour de lui. « Ne vous ai-je pas dit d'aller pratiquer? Pourquoi êtes-vous encore là? Si vous vous restez comme ça, je vais arrêter ma pratique». Il dit cela avec une intensité assez forte. Cela dérangeait Guruji qu'ils manquent leur pratique en voulant rester près de lui. Quand je l'ai rencontré quelques jours après, il dit ceci, «Patanjali a dit avec ses propres mots –Abhyasa (la pratique) doit être longue, continue, ininterrompue et religieuse. C’est seulement à ce moment là, qu'elle sera profondément enracinée. Premier chapitre des yogas sutras, samadhi pada, YS n°14». « Sa tu deerghakala nairyantarya satkarasevito drudhabhumi » On pouvait lire à l’expression de son visage : «Ne pouvons-nous pas suivre cette simple instruction ?» Le dernier dossier avec lequel je joue sur mon ordinateur est celui de Guruji faisant Kapotasana sur une chaise. On peut clairement voir son âge, mais la façon dont ses mains vont vers ses jambes est saisissante. Comme une douce curiosité qui engage si magnifiquement la communication que je ne peux toujours pas me faire à

l’idée que cet homme n’est plus. Il me semble qu'il est grand temps que j’écrive au moins quelque chose. Alors, je commence, «Si je devais utiliser un minimum de mots pour décrire Guruji, trois devraient effectivement suffire - vivant, fluide et vibrant».

****** Voici une histoire alors que Guruji avait 93 ans. Il aidait un vieil homme dans le cours thérapeutique, celui-ci se plaignait d'un sérieux mal de dos. Il vint à côté du vieil homme et modifia sa façon de se tenir debout, assis et couché pour que le patient trouve un certain soulagement. Guruji l’ajusta dans une posture allongée pendant un certain temps avec différents accessoires, de sorte que le vieil homme puisse respirer plus facilement. L'enseignant utilisait parfois ses propres mains, ou ses jambes ou son dos pour atteindre la position souhaitée. Abhi était témoin de tout cela, les bras croisés derrière le dos. «Abhi, vous autres ne pourrez jamais aider quelqu'un

...», a t-il dit après de nombreuses tentatives pour aider le vieil homme et enfin satisfait. Abhi était confuse quant à ce que son grand-père voulait dire. « Vous avez tous peur de toucher », dit-il en jetant à nouveau un coup d'œil en direction du vieil homme pour vérifier que tout allait bien. «Sans toucher, comment pouvez-vous comprendre la douleur de quelqu’un ? Viens-ici. Regarde, il l’attira en direction du vieil homme et lui fit toucher sa poitrine. Une fois le patient sorti de sa posture, Guruji dit, «Touche son dos. Comment il était agité auparavant. Il était en colère. Regarde comment il est maintenant. Peux-tu percevoir cette transformation ?». Les principes moraux et éthiques commencent ici. Abhi, dont la compréhension de la sensibilité était maintenant remise en cause, essayait de comprendre ce que son grand-père lui expliquait. Le visage de l’élève, crispé par le stress, montrait à présent quelques signes de soulagement. Son rythme respiratoire s’était amélioré. Guruji avait gardé ses mains sur les yeux du patient et dit avec douceur « Détendez-vous ». A la minute où vous touchez le patient, vous pouvez sentir les vibrations de son corps. A ce moment-là, vous devez quitter votre corps pour entrer dans celui de l'élève. Rien de mystique. Les mots ne sont pas de moi. Patanjali dit : « bandhakarana shaithilyat pracharasamvedanachha chittasya parashareeraveshah ». YS  III.39   Avec la même douceur, Guruji souleva la tête du patient et lui donna une couverture que lui-même avait méticuleusement pliée. L'homme manifesta un long soupir de soulagement : «Vous devez entrer dans le corps de l'élève et comprendre ce qui lui arrive. Où est la douleur ? Pourquoi la douleur est à cet endroit là ? Vous devez trouver le problème de l'intérieur de vous-même. Vous devez ressentir cette douleur et ensuite trouver comment résoudre le problème. C’est seulement à ce moment là qu’une solution claire viendra à vous. Vous

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ne pourrez jamais aider quelqu'un en gardant vos mains derrière le dos ». «Guruji, ne vous est t’il jamais venu à l'esprit de faire breveter vos matériaux ? » lui demandais-je. «Pourquoi ?» a t-il rétorqué instantanément. «Dieu a-t-il jamais déposé un brevet pour sa création? L’air, l'espace, l'eau sont pour tout le monde. C’est pareil pour les matériaux. Si Dieu ne l’a pas fait, de quel droit, moi, simple mortel, devrais-je le faire ? Notre esprit ne devrait-il pas avoir de la compassion pour celui qui souffre ? Comment vais-je vous aider - ne devrions-nous pas tous avoir cette pensée ? ». Guruji n'avait probablement pas compris mon intention derrière la question.

«Le corps est mon premier accessoire», Guruji a dit cela près de 50 ans avant cette histoire. Quelques heures après son décès, Geetaji me dit «Je me demande comment Anna a survécu pendant tant d'années? Il a tellement utilisé son corps, vous ne pouvez pas imaginer. N’importe qui pouvait venir et lui dire, «Guruji, j’ai ce problème», ça lui suffisait pour se lever et aller aider. « Une lutte constante, une lutte constante ...».

*** Août 2014. La maison de Guruji. Guruji n’allait pas très bien depuis plusieurs jours. Il ne voulait pas aller à l'hôpital. Le médecin commença un traitement à la maison. Sa santé se détériora plus qu’en apparence. Tous furent envahis par le doute. «Maintenant, à vous tous de décider de ce qu’il faut faire. Je ne vais pas décider de ne pas aller à l'hôpital. A vous de décider ce qui est juste», a-t-il dit à ses enfants et petits-enfants autour de lui. En disant cela, il n'y avait pas une once d’ego ou de sentiment d'accomplissement du fait qu'il ne s’était jamais trouvé devant les murs d’un hôpital au cours des 95 années écoulées. Pas le moindre signe d’entêtement, du genre, je déciderai ce qu’il faut faire, et aucun de vous n’aura son mot à dire. Il n'y avait pas non plus l’expression d’une quelconque dépendance vis-à-vis de la décision prise comme étant la bonne. Une instruction claire et nette. En apparence, ce n’est pas une histoire importante. Ou bien, on peut imaginer que n’importe qui aurait fait pareil à sa place. Ce qui me frappe, c’est la conscience et la

traversée de cette situation avec cette même conscience dans ce moment difficile. D'une part, le fil de la vie qui s’affaiblit lentement ; et de l'autre une situation à laquelle il n’a jamais été confronté avant - seulement un avenir que l'on a imaginé. Guruji était à ce moment précis exactement entre ces deux fils. Etre vigilant à ce moment précis, effectuer cette introspection avec la même conscience à la fois. Décider et appliquer la décision avec détachement est une chose si difficile. Bien que l’on puisse considérer la chose, c’est seulement par rapport à un individu et une mémoire limitée. Patanjali utilise le terme «abhinivesha» pour le désir de vivre et la peur de la mort qui existe chez tous les êtres humains. Abhinivesha est le klesha (souffrance) le plus insidieux parmi les cinq klesas, les autres étant avidya (l’ignorance), asmita (l’orgueil), raga (le désir, l’attachement) et dvesha (l’aversion). te svarasavahi vidooshopi tatha roodhobhniveshah Y.S.II.9 L’instinct de préservation ou l’attachement à la vie est la plus subtile des afflictions. Elle existe même chez les sages. Patanjali mentionne donc clairement que même les érudits ne sont pas épargnés par les tensions liées à ce klesha. Faisant partie du corps médical, j’ai été confronté à la mort plus d'une fois. Ce n’est pas nouveau pour moi. Mon expérience personnelle est, qu’au lieu d'étudier la vie d'une personne, si l'on examine lafaçon dont une personne meurt et comment il ou elle fait face à la mort, cela nous en apprendra plus sur sa vie, ses valeurs et son âme. Beaucoup échouent notoirement à cet examen. Les gens soi-disant évolués, obsédés par eux-mêmes tout au long de leur vie, créant un halo illusoire autour d'eux, battant du tambour et convaincus qu’eux seuls ont compris le sens profond de la vie et que le reste du monde est complètement inutile et superficiel, font face à la mort de façon absolument pathétique. Au seuil de la mort, les certitudes et la philosophie de façade qui ont été profondément ancrées disparaissent simplement. Leurs bouclier et masques protecteurs s’évanouissent. À ce moment-là, ils n’aspirent qu’à ce que la mort s’éloigne, ils sont prêts à faire n’importe quoi, vraiment n’importe quoi. La question d’un «non» n’est pas là. Ils ne sont même pas conscients du fait qu’avec cette attitude, leur soi-disant intelligence, ou leurs connaissances accumulées, leur sagesse apparente ainsi que leur capacité logique et analytique ne sont que confusion. «Je devrais être en vie et la vie devrait s’accrocher» - C’est leur but ultime à cet instant. Ainsi, il devient parfaitement clair pourquoi Patanjali place abhinivesha en tête des klesas. A l’opposé du spectre, se trouvent des anonymes qui ont lutté à chaque étape de leur vie et qui ne font toujours aucun bruit, ni ne se donnent en spectacle, qui n’ont jamais été acclamés et accueillent la mort tout naturellement. Cette grandeur inexprimée me fait m’incliner les mains

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jointes avec une humilité totale. À l’aune de la mort, la lumière est jetée sur toute leur vie. « Le yoga nous enseigne sans aucun doute comment vivre ; mais la leçon va plus loin, il nous apprend à mourir ». Prashant Iyengar a exprimé cela à plusieurs reprises en cours. Il semble parler d’abhinivesha. Se tenant vaillamment à cette étape, Guruji était détaché de son corps pour le donner aux autres, comme si c’était le leur. Il a très facilement franchi ce seuil qu’était abhinivesha. Pour des raisons médicales, il fut décidé de l'emmener à l'hôpital. En arrivant, le médecin l'examina et donna les informations de routine concernant le traitement, les effets escomptés, la durée et les conséquences possibles. « Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je vous en prie, dites-le nous. J’ai informé le personnel ici. Vous pouvez même me téléphoner, voici mon numéro». C’est ainsi que le médecin rassura sa famille. Même s’il n’était pas bien, Guruji écouta attentivement tout ce que le médecin avait dit. Il lui dit avec ses mains jointes en Namaskar, « Oh docteur, vous vous donnez tant de peine pour moi, merci, merci». Il ne s’arrêta pas là. Il ajouta « Une chose est certaine. Ces afflictions vont toujours être là pour le corps. Il faut bien faire face. Il n'y a pas de solutions miracles. Mais elles ne concernent que ce corps extérieur. Si le temps est venu de changer de vêtements, qu’il en soit ainsi. Je suis à l'intérieur, calme et en paix». Que pouvait répondre le médecin, ou quiconque d'ailleurs à cela ?! Même si cela peut sembler inimaginable, Guruji n’a pas dit cela à la légère. Ca ne serait pas lui. Il avait l’habitude de mettre en garde ses élèves, n’enseignez que ce que vous savez. Ne dites mot de ce dont vous n’avez pas fait l’expérience. C’est tromper vos élèves. Il n’est rien que j’ai enseigné dans ma vie sans en avoir fait l’expérience. Sinon, je ne l’ai pas enseigné ». C’est un homme si clair, qui ne s’est appuyé que sur son expérience et qui était complètement honnête avec et envers elle. Lorsque le même grand-père dit au médecin, « Je suis à l'intérieur, calme et en paix», il est vraiment à «l'intérieur», «tranquille» et «paisible».

****** A l’Hôpital. Unité de soins intensifs. Ses enfants et petits-enfants, tous se sont relayés pour être avec lui, jour et nuit. Il est là, en paix, couché sur le lit les yeux fermés. A côté de lui, Abhi est assise sur une chaise. Les bulletins médicaux disent que la situation est grave.

La réponse de l'organisme au traitement est malheureusement médiocre. Le temps passe. Guruji ouvre les yeux et regarde sa petite-fille. Il sourit agréablement. Elle se penche en avant et lui demande, est-ce que tu veux quelque chose Tata ? (NDT : mot affectueux pour grand-père). Guruji hoche la tête et fait un geste pour dire non puis il dit « Abhi, je me demande, pendant ces 95 dernières années, quelle que soit la raison pour laquelle Dieu m’a envoyé, qu’ai-je accompli ?» lui demanda-t-il en toute innocence. Abhi ne compris pas immédiatement où son grand- père voulait en venir. Ce fut juste un moment, mais ensuite Abhi reconnut ce même visage attentif pendant ses sessions de pratique. En enseignant les asanas, il a insisté de nombreuses fois là-dessus, pourquoi a-t-il insisté tout le temps sur ce point. «Soyez vigilant. En Janu Sirsasana, regardez ce que le genou de votre jambe plié est en train de faire. Comment est celui de la jambe tendue, comment tourne l’estomac ...est-ce que la poitrine est affaissée, où est l’action, où est-ce qu’il n’y pas d’action ? Vous devez observer. Ne vous arrêtez pas là. Une fois en Janu Sirsasana et pendant toute la tenue de posture, comment circule l'énergie vitale, quel est le mouvement de la conscience ? Amenez votre mental là. Ce flux de Chaitanya… Il doit couler comme une rivière. La force de vie universelle qu’est Chaitanya et le flux de cette force de vie à l'intérieur du corps doivent se rejoindre. Le yoga c’est réunir, joindre, relier. Le yoga c’est exister en relation avec quelque chose. Sentez-cela. Et ce faisant, soyez alerte, vigilant et attentif. »

BKS Iyengar en Janu Sirsasana

Abhi est submergée par la situation. Voici un homme qui a toujours dit à chacun de ses élèves et à toute personne s’intéressant au yoga « N’abandonnez jamais la pratique. Commencez toujours votre pratique avec un esprit vigilant et attentif ». Cet homme, qui est son grand-père n'a pas dévié de la voie du yoga, même à ce stade. Elle lui tient la main. « Je dis à Dieu, si vous avez encore du travail pour moi, alors gardez-moi ici ». Elle a maintenant compris ce que son grand-père voulait dire. Elle n'avait pas la force d'entendre ce que son grand-père allait dire ensuite. Elle ne voulait pas l'entendre dire quoi que ce soit sur sa mort à venir. Elle reste là, nerveuse, pour écouter ce qui allait suivre. Une infirmière entre et saisissant cette occasion, elle sort.

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20 août, peu avant l’aube. Mon mobile qui est à côté de moi sur mon lit, sonne et s’allume. La première pensée qui vient à moi, est que c’est probablement Abhi. Si c’était elle, je savais ce que je allais entendre. Pour être honnête, pour chaque appel que j’ai reçu de sa part au cours de ces deux derniers jours, il y a toujours eu ce doute. « SamK » (le nom que mes proches amis m’ont donné)… dit Abhi. Plus un mot. Je l'entends retenir ses larmes. Quelques secondes de silence, puis d’une voix tremblante, «SamK… Tata…» c’était comme si elle ne voulait rien dire de plus. Le visage d’Abhi m’apparut. Ce n’est pas difficile d'imaginer ce qu'elle traverse. Pas seulement elle, toute la famille, les étudiants, les élèves, les personnes allant des foyers les plus modestes jusqu’aux familles royales. Tous ceux qui le portaient dans leur cœur, les pratiquants de yoga du monde entier…cette nouvelle allait tous les plonger dans la tristesse. « Je viens » lui dis-je après une longue pause pour reprendre mes esprits. Comme je partais, la voix de ma femme me parvient « Guruji » ? Je lui réponds « Oui, ça vient juste d’arriver ».

****** En me rappelant ce moment, inconnu pour moi, mes mains quittent le clavier de mon ordinateur et prennent mon visage baissé comme pour le cacher. Mes yeux deviennent humides. Une chose est sûre concernant ce corps : une fois né la mort est certaine. On dit cela comme si on avait complètement compris. Chacun de nous a une expérience directe de la mort de quelqu'un et nous pouvons donner un sens à la citation de Madgulkar (NDT : poète et écrivain marathi)- «La logique s’arrête au concept de la mort». Cependant, on ne peut pas prédire ce que c’est pour un homme de mourir; ce qu’est la mort – l’énigme demeure. La mort est la disparition de la force de vie. Et même si nous la définissons ainsi, où avons-nous fait l’expérience de cette force de vie ? Être en vie n’équivaut pas à faire l'expérience de cette force. Ce n’est que sa manifestation. Quelle est cette force de vie ? « Cette force » quitte le corps avec la mort – que signifie « cette force » ? Où s’en va-t-elle ? D’où vient-elle ? Nous décrivons la mort avec divers attributs qui n’en sont en réalité que les symptômes- le cœur s’arrête ou des organes comme le cerveau ou les reins ne fonctionnent plus, la respiration s’arrête. Ce sont en fait des détails de ce qui se passe au moment de la mort. Ce qui est sûr, c’est que l’addition de tous ces phénomènes, ne constituent pas la mort. Tout comme l'énigme qui entoure «Om», il y a quelque chose d’autre. Qu’est-ce que c’est ? Dans la Kathopanishad, Nachiketa demande à Yama, le

Seigneur de la mort, une question légitime sur la mort, une requête pour comprendre la vérité sur la mort, une question à laquelle l'homme n'a pas trouvé de réponse. kshanatatkramayoh sayammat vivekajam jnanam || PYS III.53 || Ce que nous interprétons comme le temps est effectivement une agrégation d’instants. Sans perdre la connexion entre un instant donné et les instants successifs, lorsque le yogi maintient l'attention sur le flux continu d’instants, il se libère de la limitation du lien, du lieu ou de l'espace et parvient à la sagesse exaltée. L'homme qui a écrit cela dans son commentaire des sutras de Patanjali a quitté le plan de l'espace et du temps le 20 août 2014 pour ne jamais revenir. Je regarde mon écran d'ordinateur envahi d’un vide étrange.

****** A la vérité, la disparition de Guruji n’est pas prématurée. Elle n’est pas inattendue. Il était prévisible que la perte de ce corps, qui a enduré de graves difficultés pendant 95 années, allait causer du chagrin. L'espoir que rien n’arriverait était là bien sûr, mais il y avait aussi un sentiment sous-jacent que quelque chose allait se passer. Bien que d'une part, l'intellect comprenne tout cela, les émotions du cœur parlent une langue différente. Le célèbre écrivain PG Wodehouse a assisté à la mort de sa fille. Au cours de l'enterrement, au moment où le cercueil était recouvert de terre, il dit : « Je croyais qu'elle était immortelle ». C’est pareil pour Guruji. Puisque j’en parle, j’ai vécu la mort de Guruji non pas une fois, mais deux. La première, c’était quand son état de santé s’est détérioré de façon significative. C’était dans mes pensées. La seconde, c’était quand ça s’est réellement passé. En tant que médecin, je suis d'avis que si vous faites preuve d’un peu plus d’imagination, vous pouvez faire deux fois l’expérience de la mort d’une personne. D’abord avant qu’elle n’arrive, dans votre esprit. Dans une certaine mesure, nous pouvons prédire l'issue possible ou la réaction à un événement certain. En même temps, il est possible de décider de ce qui doit être fait ou évité. Ainsi, le chaos de l’urgence peut être limité dans une certaine mesure. Cependant, la deuxième fois, c’est l’événement lui-même. Malheureusement, ce qui était à prévoir se passe réellement dans la réalité aussi. Les détails peuvent changer, le cœur de l’événement reste le même. Lorsque de nombreux paramètres de l’état de Guruji se sont détériorés, je me suis fait à l’éventualité de la mort prochaine de Guruji. A ce moment là, j’étais déchiré entre le médecin et l’étudiant de yoga. Lorsque les informations scientifiques me sont tombées dessus, je

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me suis efforcé de les tenir à distance. J’étais triste de me sentir tel un adolescent à essayer d'équilibrer les deux rôles. Dans son commentaire de la Gita, Vinoba dit, «Entre le mental et l'intellect, l'intellect doit prendre des décisions et le mental doit obéir aux ordres. Or, ce que nous faisons, c’est que nous laissons le mental prendre la décision en forçant l'intellect à suivre». Avec cela à l’esprit, j’ai lutté contre moi-même pour garder mon mental à l’écart et avoir une image claire. Il y avait certainement une empreinte dans mon mental quant à la tristesse que je ressentirais si effectivement Guruji venait à mourir. Cependant, mon abattement a été bien plus grand que ce à quoi je m’attendais. Quand j’ai réalisé, en faisant mon introspection, la question lancinante c’était «Pourquoi ?». J’avais une idée des différentes possibilités, j’avais bien évalué la situation. Mais pourquoi ? Mon ego avait été piqué. Je suis sûr que ce n’est pas seulement mon histoire, mais l'histoire de millions d'étudiants de yoga à travers le monde.

****** Je suis arrivé à l'institut. Le corps de Guruji reposait dans la même pièce où il avait l’habitude de se tenir. Son corps avait l’air bien plus pur que ce à quoi je m’attendais. «Si vous vous équilibrez dans le présent, vous vivez dans l'éternité.» Quand je l'ai vu cette dernière fois, cette citation de Guruji me revint. Je discernais la différence subtile entre Guruji en Savasana dans la salle de pratique, la pléthore de photographies de lui en Savasana, les accessoires qu'il a conçu pour Savasana et la reddition finale de son corps dans le giron de la Terre Mère. En voyant les photos de Guruji en Savasana, photos prises à l’occasion de son 90ème anniversaire, mon ami styliste avait dit « Je peux regarder ce Savasana pendant deux secondes tout au plus. Il me hante». Je tressaillis un instant. «C’est un corps mort... pas l'asana dédié au corps mort ». La conscience du témoin qui observe le soi n’est pas là. L'état de paix de la forme individualisée de la force universelle et l'absence de cette force, c’est la différence entre les deux. La force universelle qui donne la vie au corps l’a quitté pour l'éternité. C’est juste le vêtement de ce corps qui a digéré 95 années, qui a perdu la vie de l’être qui était vivant, qui a traversé et perdu ce contact». La nouvelle ne s’était pas encore répandue dans le monde. Il n'y avait que la famille et une poignée d'autres. La famille était bien sûr ébranlée d’avoir perdu son lion, c’était leur propre sang. Pourtant, au-delà de tout cela,

aucun n'a perdu la connexion avec le fait qu'ils faisaient partie du voyage final d'un grand yogi de cette époque. Tout le monde comprenait maintenant, que depuis que le père, le grand-père était allé à l'hôpital, et que sa fin était proche, ce corps n’avait pas d’autre choix que d'aller vers cet état d'où il pourrait rejoindre la mort. Je suis témoin du fait que chacun a pris grand soin de ne rien faire de maladroit dans cette situation. Un simple signal et il y aurait pu avoir un rassemblement de centaines de milliers de personnes concernées. Mais ici, c’était une famille qui ce jour-là avait mis de côté le caractère spécial de Guruji et qui vivait les choses d'une manière très simple. Quelques jours après sa disparition, je devais aller à l'hôpital où Guruji avait été admis. J’étais assis sur une chaise en attendant quelqu'un lorsqu’une femme Bohra (NDT : de la communauté des musulmans Bohra) est venue vers moi. Quelqu’un de sa famille avait été admis ici il y a quelque temps déjà. Donc, nous avions commencé à nous connaître de vue quand Guruji était à l’hôpital. Elle me dit avec une expression triste, «Votre patient, ... c’était grave .... J’ai entendu la nouvelle... très triste. Je suis désolée». J’acquiesçais. Elle me demanda avec compassion, «C’était votre grand-père ?». «En effet», dis-je, «mais .... plus important encore, c’était Guruji ... Guruji du yoga ». «Ah ! Un autre maître est mort il y a quelques jours ... je l’ai vu dans les journaux ... à la télévision aussi». J’ai réalisé que cette dame ne savait pas. «C’était le même homme», dis-je. Elle fut étonnée : «Que voulez-vous dire ?». «Madame, dans la chambre voisine de votre patient, c’était ce même homme, Yogacharya… BKS Iyengar». Elle fut choquée, «Ne me dites pas que ce grand-père… c’était le maître ? Il était si simple. Sa famille aussi. Mais Yogacharya était si célèbre. N’a-t-il pas tellement d’adeptes ? Cette dame ne pouvait pas admettre que Maître Iyengar en personne avait été là, juste à côté d’elle. «Oh ! Vous auriez dû au moins me le dire. J’aurais au moins pu recevoir son darshan (NDT : terme de l’hindouisme qui signifie être en présence de la divinité. Le darshan est un moment où le dévot est en contact visuel direct avec l'idole d'un dieu, un avatar, ou un maître spirituel vivant). Un si grand homme...et si simple», répétait-elle en murmurant. Une ombre lourde de tristesse planait sur l'institut. Tout le monde était plongé dans un état lourd et triste. Personne ne bougeait. Comme des oiseaux sous la pluie, ils étaient là éparpillés. J’ai reçu un message WhatsApp de ma nièce en Amérique, «Guruji? Qu'est-il arrivé ?». Que vais-je lui dire ? Arrive le message d'un ami de Mumbai : «Vraiment désolé. La nouvelle de Guruji est tombée dans les flashes TV. Un grand homme s’en est allé, mon ami». A présent, il était de l’autre côté. Les gens avaient commencé à se rassembler. Une file d'attente était en train de se former.

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****** J’avais d'abord écrit sur l'ordinateur «vivant, fluide et vibrant». Comme un écolier, j’écrivis en dessous : «D’où vient cette sensation si forte et qui revient sans cesse que Guruji aurait dû rester ? ». Je ressens cela parce que je pense que des hommes comme lui, pleins de vie, accomplis et vibrant dans leur être et en tout ce qu'ils faisaient, se comptent sur les doigts de la main. La disparition de ces personnes n’est pas une question d’âge, mais par leur seule présence, simplement en les voyant, on se sent consolé, on garde la foi dans la vie. C’est pourquoi, je pense qu'il aurait dû rester. La vérité, c’est que c’est mon égoïsme qui le réclame». Nous devrions réaliser que, de nos jours, nous cultivons une image de la société uniquement préoccupée par « soi » et « rien que soi» et complètement absorbée dans cet unique « soi». Cette attitude nous égare et on suppose que c’est un atout. La sphère de la vie ne semble pas voir au-delà de « je, moi, et moi-même». Nous vivons en prenant garde à n’être en contact avec personne, ni à permettre au cours de la vie de quelqu'un d'autre d’entrer en contact avec nous. Nous vivons en construisant un mur - un monde de rejet. Nous vivons sans inviter personne en nous-mêmes. Dans un moment pareil, le décès d'un homme rare comme Guruji qui, au-delà de lui-même, a touché la vie de tant de gens, qui a accueilli d'autres personnes dans sa vie et qui a mis la sienne au service des autres, me fait réaliser à quel point il a étendu ses racines au cœur de nous-mêmes. Tant de gens de tous horizons ont été en deuil !

Chacun de nous ressent cette perte personnellement comme s’il avait été une partie de nous. Imaginer vivre sans lui est insupportable. Je relis cela encore, et encore et je pense que je devrais mettre cela sur papier. Je lève la main sur le clavier pour écrire un article. «Guruji » s’affiche. Une fois de plus, je suis assis et regarde fixement l’écran. Je crois que ce sera le deuil public d'une perte très personnelle. J’ai besoin de quelque chose qui soit vraiment le cœur du sujet. J’efface et j’écris « Yogastha - celui qui est fermement et complètement établi dans le yoga ». (NDT: cf. Bhagavad Gita, Chap. 2, VS 48) C’est mon image mentale de Guruji. Il était prolifique et en même temps stable dans sa conscience - c’est la caractéristique d'un homme qui, bien qu’ayant atteint des sommets, est resté simple. Maintenant écrire sera une tâche relativement facile.  

                                           

   

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Ø AGENDA    

• Yoganushasanam  

Nous  sommes  heureux  d'annoncer  que  Geeta  Iyengar  dirigera  un  stage,  Yoganushasanam  en  décembre  2015  en  Inde.  En  voici  les  détails  :  

Lieu  :  Indoor  Badminton  court  in  Balewadi  Sports  Complex,  Pune  (le  même  endroit  qu’en  décembre  2014).  

 Dates  :  du  5  au  12  décembre  2015.  

Les  horaires  du  stage  seront  annoncés  ultérieurement.  

Thème:  Asana  for  Pranayama  &  Pranayama    

 Attention  :  ce  stage  est  réservé  aux  pratiquants  ayant  au  moins  trois  ans  de  pratique  de  Yoga  IYENGAR.  

 Coût  :  USD  450/-­‐  ou  son  équivalent  en    GBP,  Euro,  AD,  CD.      

Pour  plus  d’information,  merci  de  contacter  Alix  Munier  :  [email protected]        • Yoga  Festival  Paris  

 Nous  aurons  le  plaisir  de  vous  accueillir  sur  le  stand  de  l’AFYI    lors  de  ce  prochain  Yoga  Festival.  Les  détails  vous  seront  communiqués  sur  le  site  http://www.yoga-­‐iyengar.asso.fr  dans  quelques  semaines.  

   

   

 Pour  plus  d’information  :  http://www.yogafestival.fr/          

Ø ADDENDUM      Professeurs  reçus  

  BASE  II     Septembre  2014     Véronique  GARNIER  (38)         JUNIOR  AVANCE  III     2008     Christian  Pisano  (06)       SENIOR  AVANCE  I     2014     Christian  Pisano  (06)